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François Lonchampt
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TEXTES DIVERS

L'héritage et l'avenir
François Lonchampt, 2001

TEXTE PARU DANS LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE N°735 (DÉC. 2001 - JANV. 2002)


Les travailleurs ont bien démontré, depuis la seconde guerre mondiale, qu'ils se trouvent être encore et toujours la force centrale capable de paralyser le fonctionnement de cette société. Mais ils n'ont pas su s'affirmer comme la force suffisante et indispensable pour en réinventer les bases. Si la classe ouvrière a connu en Europe une amélioration plus considérable de sa situation que toutes celles dont elle avait pu bénéficier auparavant dans son histoire, le projet communiste fondé sur l'érection du prolétariat en classe dominante ne semble plus à l'ordre du jour, et la perspective de l'émancipation du genre humain par la seule intervention d'une classe sociale singulière paraît aujourd'hui peu vraisemblable. Au regard des espérances millénaires, sans doute exagérées, que les hommes ont investi dans les révolutions de l'époque moderne, on peut donc soutenir que "le vieux mouvement ouvrier a échoué, non sans obtenir d'immenses résultats, mais qui n'étaient pas le but visé [1]".

A l'occasion d'un des débats d'orientation qui ont ponctué la vie de "La Révolution Prolétarienne", un lecteur écrivait en 1950 que "la tactique revendicatrice du syndicalisme a poussé les salariés à désirer d'avantage du régime capitaliste, plutôt qu'à envisager sa disparition [2]". "Voyez donc l'esprit révolutionnaire là où il est, chez quelques hommes appartenant à tous les milieux et cessez donc de nous faire croire à on ne sait quelles vertus particulières de ce que vous appelez encore le prolétariat", écrivait un autre camarade [3]. Voilà une controverse récurrente chez les passionnés de la question sociale qui, à mon avis, ne trouvera de solution que dans la pratique. Mais en lisant ces lignes, j'ai découvert une liberté de ton tranchant avec la surenchère verbale et l'extrémisme commode que j'identifiais alors à l'intransigeance et à la révolte pure, et cela m'a donné envie d'en savoir plus.

En descendant des sommets immaculés d'où je pouvais juger de tout sans rien connaître, j'ai abandonné en chemin certaines de mes certitudes les plus consolatrices, et je suis maintenant convaincu que presque tout doit être révisé dans les conceptions que nous avons héritées du XIXème siècle. Par exemple, je ne crois plus à l'école des luttes, ni à l'aliénation des masses. Même s'ils sont confrontés à « l'impossibilité de réaliser (sinon par mimétisme) des modèles culturels bourgeois, à cause de la pauvreté qui demeure, déguisée en une amélioration illusoire du niveau de vie [4] », la plupart des jeunes issus des milieux populaires ignorent tout de l'histoire et des luttes de leur propre classe, persuadés qu'ils sont invités, sans combattre, à partager les valeurs et les jouissances des possédants. Mais dans une société entièrement scolarisée et saturée d'information, personne ne peut ignorer les conséquences de ses actes ou de son inertie, de ses paroles ou de son silence ; et il n'est pas possible de prendre les travailleurs pour des illettrés ou des irresponsables qu'il faudrait éduquer patiemment, comme il y a un siècle, quand le manque d'instruction, l'épuisement physique et les préjugés religieux pesaient de tout leur poids sur le monde ouvrier.

Il faut donc "recueillir dans l'héritage mystique et politique du messianisme prolétarien, d'une part tous les éléments utiles à la fondation d'une idéologie plus réaliste, d'autre part toutes les valeurs morales dont il a été l'exaltation [5]", comme le souhaitait André Prudhommeaux ; et fidèles au dessein de l'auto émancipation ouvrière, seule tentative contemporaine d'envergure pour humaniser les conditions sociales d'existence et la nature de l'homme, nous aventurer, pour explorer des voies nouvelles, loin des schémas millénaristes ou au contraire pseudo-rationnels, des naïvetés rousseauistes et des fantasmes de redéfinition autoritaire et de mise en ordre des rapports sociaux, qui heurtent le sens commun et concourent à entretenir la méfiance vis à vis de nos conceptions, jusque dans les catégories les plus exploitées de la population. Méfiance dont les théories commodes de l'aliénation ou de la servitude volontaire ne sauraient rendre compte, et qui représente un défi dont personne ne prends la véritable dimension [6].

"La Révolution Prolétarienne", qui a su maintenir, dans des temps difficile, un pôle de résistance à la contre-révolution bureaucratique, sans pour autant sombrer dans le réformisme ou le révolutionnarisme dogmatique et sectaire, n'est-elle pas un lieu privilégié pour relever ce défi ?

François Lonchampt


[1] Internationale Situationniste.

[2] Numéro 340 de juin 1950, lettre de Vallet-Sanglier.

[3] Numéro 341 de juillet 1950, lettre de Raphaël Fontanieu.

[4] Pier Paolo PASOLINI

[5] André PRUDHOMMEAUX, Spartacus et la Commune de Berlin, 1918, 1919, paru en 1934 et réédité par "Les Amis de Spartacus" en 1972.

[6] Les termes de cette réflexion sont très bien exposés par Claude Orsoni, dans "La révolution en question", in Un anarchisme contemporain, Venise 84, ouvrage collectif publié par les "Ateliers de création libertaire" en 1984.