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François Lonchampt
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TEXTES DIVERS

Le monde que nous voulons - discussion
François Lonchampt, 2002

EXTRAITS D'UNE DISCUSSION SUR LE COMMUNISME


Le 1er septembre 2002

Pour introduire une discussion sur la définition du communisme

Dans une société complexe, où l'actualité nous présente tous les jours des exemples effrayants de la barbarie qui risque de s'installer quand les institutions se délitent, de plus traversée de technologies extrêmement dangereuses, et où le projet révolutionnaire ne peut plus s'appuyer plus sur les modes de sociabilité ouvrières qui lui conféraient un caractère d'évidence [1] (ces modes de vie ayant été détruits), je ne pense pas que les masses se lancent dans l'aventure révolutionnaire sans se faire à l'avance une idée assez précise des objectifs à atteindre, des voies pour y parvenir, des étapes et du chemin. D'ou la nécessité de proposer une vision réaliste et suffisamment précise du résultat à atteindre, ainsi que du processus pour y parvenir, et l'intérêt de cette discussion.

Malheureusement, la plupart des projections concernant la société communiste supposent un homme différent de celui que nous connaissons aujourd'hui, un homme considérablement meilleur. c'est à dire qu'elles supposent à l'avance le principal problème résolu. Comme si le processus révolutionnaire était une sorte d'alchimie sociale qui accoucherait dans de brefs délais d'un homme vraiment nouveau. Et c'est ce qui donne à tous ces récits un caractère de naïveté absolue qui les rends peu crédibles. (…)

Il est incontestable que le processus révolutionnaire en tant que tel est un processus de régénération par lequel le prolétariat se nie en tant que classe, et par lequel les hommes qui s'y engagent commencent à se mettre en situation, et en état, d'affronter tous les problèmes qui vont se poser à eux pour les résoudre d'une manière tout à fait nouvelle. Mais il ne faut pas croire que le poids du passé, les habitudes ancrées, vont disparaître en un tournemain. L'homme nouveau est le produit, autant que le producteur du processus révolutionnaire. Le communisme doit se construire avec les hommes que nous côtoyons tous les jours, avec les hommes et les femmes éduqués dans un monde dont le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne récompense pas les qualités nécessaires pour vivre dans une société plus libre, plus responsable, plus fraternelle. Cette perversion des qualités humaines, cette "déséducation" s'aggrave à l'évidence dans la phase de domination réelle du capital. Car si les compromis sociaux de l'État providence avaient pour effet de distendre les solidarités de classe en leur substituant la régularité des institutions sociales (retraites, assurances chômage et maladie), il semble bien que le consommateur idéal d'aujourd'hui soit un être particulièrement asocial et entièrement dépendant de toutes sortes de prothèses marchandes, d'autant plus dépendant qu'il évolue dans un environnement artificiellement créé, et que les antidotes puissants qui existaient dans les cultures populaires contre cet asservissement ont été à peu près anéantis avec cette culture même, avec les quartiers, l'éducation, les distractions propres à la classe ouvrière, les métiers et les qualifications. Et au delà de la classe ouvrière proprement dite, Castoriadis avait justement remarqué que le capitalisme a commencé à liquider la plupart des types humains sur lesquelles il s'était appuyé dans son développement (probité des administrateurs, sens du service et du service public chez les fonctionnaires, conscience professionnelle de l'ouvrier, etc.). Et aujourd'hui, avec la désindustrialisation, l'extension du tertiaire improductif et le règne de la voyoucratie à tous les niveaux de la société, ce sont même directement les tendances les plus anti-sociales qui sont encouragées par toutes sortes de puissants moyens.

Le communisme, quelque soit la définition qu'on en donne, n'est donc possible que grâce à une longue phase de transition, qui consiste en la réorganisation du monde sur des bases nouvelles. Et peut-être faudra-t il qu'arrive à l'age adulte une génération élevée dans le nouveau monde, pour que les problèmes commencent à se poser sous une meilleure augure. Nous savons, d'autre part, que le socialisme n'est pas possible dans un seul pays - pas très longtemps - mais nous n'aurons pas la naïveté de croire, que la révolution va se répandre comme une traînée de poudre dans l'univers entier en renversant toutes les forces hostiles, où que le vieux monde va s'écrouler comme un château de cartes.

D'autre part, on ne peut dire que les conditions de l'abondance sont d'ors et déjà réalisées. L'abondance, qui fonde les fantasmes de prise sur le tas, n'existe que parce que des ouvriers sous-payés à l'autre bout du monde continuent à descendre dans les mines pour y extraire des matières précieuses et des minerais, à conditions que les manutentionnaires du monde entier, sur des quais poussiéreux, continuent à décharger et à charger les bateaux et les trains, etc. L'abondance est capitaliste, ou virtuelle. Mais la révolution communiste, c'est l'anéantissement des circuits commerciaux et des chaînes du salariat, c'est donc la désorganisation des échanges dans un premier temps, dont il serait bien présomptueux de dire à l'avance combien il peut durer. La réorganisation sur une base non marchande n'est pas une mince affaire. Rien ne continue comme avant, et chaque prolétaire est amené individuellement à se déterminer, à s'interroger sur son rôle. Il est clair que le passage au communisme implique sacrifices et rationnements. Et c'est bien sûr dans les phases les plus difficiles de rationnement (et de désorganisation), que le processus d'auto transformation des hommes peut s'enrayer (ou se préciser, s'approfondir, tout aussi bien), que les partis de l'ordre retrouvent audience

Premièrement, il faut donc envisager la période de transition en renonçant à l'illusion de disposer d'un homme nouveau et d'une production disponible en abondance. Deuxièmement, il faut penser dans les grandes lignes la société communiste sans se faire une idée trop extravagante de la nature humaine. Nous pensons que l'homme est perfectible, qu'il peut mieux. C'est pourquoi nous sommes communistes. L'homme vit dans un monde créé par l'homme, dans un monde humain et ses enfants évoluent et grandissent dans ce monde fait par les hommes. L'homme n'est pas pour autant "bon" par nature. Quant à la définition du communisme, il faut impérativement nous débarrasser de cette vieille et confortable conception, selon laquelle nous pourrions passer du gouvernement des hommes à l'administration des choses. Il ne s'agit que d'une utopie capitaliste. Tendanciellement, le capitalisme aujourd'hui, qui ne connaît que la gestion, et qui prétend gouverner partout au nom de l'objectivité en s'imposant par l'efficience, tend effectivement à réaliser l'administration des choses. Mais pour en arriver là, il faut que, toujours tendanciellement bien sur, il transforme les hommes en choses.

Le communisme, qui est un retour à l'homme, impose une réflexion sur les institutions de pouvoir, sur la justice, les formes de la démocratie ; et il suppose qu'on définisse sans attendre quelques uns des principes nouveaux qui viendront se substituer au "mécanisme arbitraire et fondamentalement vicié des lois statiques de l'oppression et du privilège", comme l'écrivait Prudhommeaux. Peut-être faut-il aussi se défier des modèles trop parfaits, comme je l'ai déjà écrit, en reprenant une idée de Raoul Brémont. Et réfléchir également à ce qui fait le succès du capitalisme, les satisfactions qu'il procure, le goût du risque, les jeux de l'argent, de la séduction, du pouvoir, l'entreprise, etc., qu'il serait bien présomptueux de cataloguer en vrac dans la rubrique "aliénation", ou "névrose". Car les visions du nouveau monde sont trop souvent, non seulement naïves et tributaires d'une vision idyllique de la nature humaine, elles sont aussi souvent excessivement moralisatrices.

Donc en résumé de nouveau : contre une conception follement optimiste de la transition, contre une vision naïvement moralisante de la société future.

François Lonchampt


Le 6 septembre 2002

Le monde que nous voulons

1) Il est peu probable que dans une société communiste, contrairement à toutes celles qui existent dans le monde ou ont existées depuis le début des temps, "les biens … deviennent de simples objets physiques que les êtres humains peuvent utiliser pour satisfaire un besoin ou un autre". Les biens, leur possession, leur ostentation, leur consommation, leur échange, y compris, et peut-être même surtout quand on les donne ou si on les détruit, ont évidemment dans toutes les société une haute valeur symbolique : signes de pouvoir ou d'appartenance, insignes de distinction, manifestes, instruments de séduction ou de rassurance, de communication, marques de rejet, de reconnaissance, etc., dans le capitalisme, bien sûr, mais encore plus dans les sociétés non marchandes, comme on le sait. Je ne vois rien qui incline à penser qu'il puisse en être autrement dans une société communiste. Ca complique tout.

2) La question de l'allocation des biens, et spécialement des biens rares, qui est réglée de la pire manière dans cette société, où les possédants s'accaparent les meilleures choses, les meilleures places etc., va-t-elle se régler magiquement dans le passage au communisme ? Les instruments les plus "coûteux" (complexes, nécessitant un travail long et hautement qualifié, incorporant des matériaux rares, difficiles à transporter, fragiles, exigeant une maintenance qualifiée, etc.), seront-ils disponibles à profusion ? Trouvera-t-on à tous les coins de rue des caméras à haute définition, des voitures confortables et rapides, les œuvres complètes de Karl Marx et de RGF dans l'édition originale, des armes perfectionnées, des ordinateurs surpuissants, les outils les plus performants, des pierres précieuses et des bijoux, les étoffes de la meilleures qualité, les plus beaux vêtements, des horloges et des montres de précision, les meilleurs vins de bordeaux, des incunables, des studios d'enregistrement et du matériel pour monter des raves-party, des amis authentiques, des lunettes astronomiques, du matériel de plongée, des machines outils à commande numérique, des œuvres d'art, et j'en passe ? N'importe quel savant ou supposé tel, aura-t-il à sa disposition tous les moyens nécessaires pour se livrer aux recherches qu'il estime absolument urgentes ? Y aura-t-il pour tout le monde des places dans les avions supersoniques, dans les paquebots en partance le jour même, dans les navettes spatiales pour aller faire du tourisme dans la galaxie ? Qu'on ne vienne pas me dire qu'au lendemain de la révolution, l'homme aura perdu le goût du luxe et des parures, le plaisir des bonnes choses, qu'il sera devenu indifférent à la qualité des instruments qu'on mettra à sa disposition, qu'il s'amusera à tout construire par lui même avec des bouts de ficelle, que les femmes s'habilleront avec la première loque venue, ou qu'elles fabriqueront tous leurs vêtements sur leur machine à coudre, ce ne serait pas sérieux. Le communisme suppose des règles de distribution, et une mesure de la contribution des individus au bien commun.

3) Les "besoins humains" qu'il s'agit de satisfaire, demandent à être définis. Au delà du minimum vital, tout est discutable. L'allocation des moyens de production a des conséquences presque incalculables. Une fois débarrassé du capitalisme, il reste tous les choix de société : orientations de la recherche, choix "énergétiques", arbitrage entre la construction d'infrastructure et le droit à la paresse, entre le temps de travail et le niveau de consommation, le niveau de consommation et la préservation de l'environnement, comme on dit, la préservation de l'environnement et la construction d'infrastructures, etc. On ne construira pas un barrage comme on creuse un puit dans la steppe, parce que quelques individus se seront entendus entre eux pour engager les travaux, se sont réunis en conseil et ont passé un accord avec le soviet d'une usine de ciment ; et les travaux peuvent-ils être arrêtés parce que les ouvriers s'en désintéressent subitement et décident de jouir sans entraves et de vivre sans temps morts pendant l'année suivante ? Il faut des procédures de décision, et il faut que les décisions qui engagent la collectivité et son avenir soient suivies d'effet. Il faut également un statut de la minorité, quand elle s'estime lésée par les conséquences des choix qui auront étés fait contre son avis et qu'elle ne veut pas subir certaines des contraintes qui sont liées à l'aboutissement des projets qu'elle aura jugés néfastes. On ne peut concevoir que ces questions se règlent au jour le jour dans l'anarchie perpétuelle.

4) A propos d'individu, dans ton texte, il semble qu'il ne soit question que d'individus ("les besoins des individus"). Mais quelle est la réalité de cet individu ? Nous avons justement critiqué l'évanescence de cet individu bourgeois, comment l'individu viendrait-il à réapparaître de manière aussi envahissante dans la société communiste ? Y-a-t-il un individu communiste ? Le communisme pose la question de la communauté.

5) Le communisme ne va pas faire disparaître comme par magie le goût du pouvoir, l'appétit de jouissance, l'intrigue, la tendance à accaparer, le détournement des ressources et l'appropriation à des fins de pouvoir, les rapports de force (qui ne se fondent pas seulement sur des rapports de propriété). Le communisme ne supprime pas les conflits, même s'il modifie les enjeux. Rien ne garantit que des groupes ne se constituent pour accaparer des ressources en vue de faire valoir un point de vue particulier au détriment de ce qui aura été défini comme l'intérêt général, ou pour s'aménager une situation plus confortable que la moyenne. Rien ne garantit que ne se reconstituent des groupes de pression, des ententes illicites, des réseaux de pouvoir. Il est d'ailleurs très idéaliste de supposer une société dont "tous les membres sont dans une position identique face au contrôle de l'utilisation des moyens de production de la richesse". Il n'est pas indifférent d'habiter un désert, une riche terre à blé, ou sur une autre qui contient des réserves pétrolières extraordinaire, d'occuper un poste à responsabilité dans une centrale nucléaire ou de travailler comme berger ou comme instituteur dans un village de montagne, et l'on pourrait multiplier les exemples de disparités de position des individus et des communautés humaines "face au contrôle de l'utilisation des moyens de production de la richesse". Et je ne pense pas que le communisme supprime cette inégalité comme par miracle. Il supprime seulement quelques enjeux essentiels aujourd'hui, en interdisant concrètement qu'on s'enrichisse, ou la concentration exagérée de pouvoirs en quelques mains, avec la propriété privée des grands moyens de production et des sources d'énergie. Le communisme suppose un contrôle de la collectivité sur les ressources rares et sur ces grands moyens de production, et les modalités de ce contrôle, les sanctions qui lui permettent de s'exercer, restent à définir. L'autogestion est évidemment une solution absurde. On n'autogère pas le réseau ferroviaire ou électrique, une centrale thermique ou nucléaire, un puit de pétrole, une usine chimique, un sous-marin, ni rien d'important. Passer au communisme c'est envisager des nouvelles formes de pouvoir, des institutions nouvelles de pouvoir (de justice et de police également).

6) Le communisme n'est pas qu'une question de production et d'économie. Il suppose de nouveaux codes de comportements, une nouvelle ordonnance des rapports humains, et notamment des relations entre les hommes et les femmes, entre les parents et les enfants, entre les générations, et accessoirement entre les peuples. Enfin, à l'évidence, des interdits nouveaux et une codification nouvelle des rapports amoureux. Cette question, ou cet ensemble de questions, ne sont pas les moins ardues, et ne se règlent pas dans les moments d'insurrection. En regard de celles-ci, et de notre indigence à y répondre, de notre réticence et peut-être même de notre peur de les affronter (j'entends déjà hurler de concert, comme si j'y étais, tous ceux pour qui il s'agit de questions sacrilèges et tabou, et qui nous ont fait prendre tant de retard - car la bourgeoisie, elle, édicte des normes à sa manière pour toutes les autres classes de la société, et elle est sans concurrence sur ce plan là, grâce à eux), peut importe que les conditions matérielles du communisme aient été réalisées cent fois. Car comme disait Reich, pour la bourgeoisie, il n'y a pas de questions insolubles.

(A suivre)


[1] Une société d'ouvriers, sans les patrons.