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François Lonchampt
ollantay@free.fr
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DANS CETTE RUBRIQUE:

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Réponse de François Lonchampt à l'enquête de la revue ''Lignes'' ( François Lonchampt , 2000)


TEXTES DIVERS

Sur les élections présidentielles de 2002
François Lonchampt, 2002


Entendons nous bien : chacun est responsable de ses actes et de ce que la société a fait de lui. Il n'est pas question d'accorder un blanc seing à l'inculture et à l'irresponsabilité coupable des électeurs lepéniste. Mais les tombereaux d'invectives qui se sont abattus entre les deux tours de la présidentielle sur ces purotins mal élevés dans leurs pavillons minables, avec leurs vies sans événements et leurs divertissements vulgaires, sont les manifestations outrancières d'une vraie haine de classe, dont le soudain débordement montre assez bien que les ouvriers sont toujours vécus comme une menace par ceux qui profitent de l'état d'abaissement et d'impuissance dans lequel on les tient.

Derrière « l'antifascisme de manière, inutile, hypocrite, et, au fond, apprécié par le régime », que dénonçait Pasolini en son temps, qui sert de rideau de fumée, la véritable réaction continue, par l'épuration permanente des entreprises au détriment des "moins productifs", par la généralisation des emplois de conditionnement et de service, pour la plupart précaires, mal payés et sans utilité sociale avérée, et par l'instauration d'un marché du travail sans frontière qui met en concurrence les travailleurs du monde entier. Alors même que les institutions de la République qui ont le plus contribué à l'assimilation des populations d'origine étrangère - dont bon nombre ayant un lourd contentieux colonial avec la France - se délitent, minées à la fois par le multiculturalisme postmoderne et par les modèles existentiels véhiculés par la marchandise, c'est sous la pression des marchés que notre société force la cohabitation des peuples, avec une précipitation jamais connue dans l'Histoire. Douée d'une redoutable capacité dissolvante sur les cultures issus de l'immigration, elle ne propose plus aucune communauté de remplacement, ni manière nouvelle d'être ensemble, la communion dans l'euphorie publicitaire mise à part.

"Le malheur atroce, ou l'agressivité criminelle, des jeunes prolétaires et sous prolétaires provient précisément du déséquilibre entre culture et condition économique. Il provient de l'impossibilité de réaliser (sinon par mimétisme) des modèles culturels bourgeois, à cause de la pauvreté qui demeure, déguisée en une amélioration illusoire du niveau de vie [1]". Les nouvelles générations sont directement socialisées par des médias qui véhiculent ouvertement des valeurs neo-nazies, avec d'autant plus d'efficacité que la culture ouvrière traditionnellement tolérante, déstabilisée par une offensive sans précédent, a perdu tout pouvoir d'attraction, et que nombre de nos concitoyens sont déjà en proie à une forme abominable d'aphasie, à une brutale absence de capacité critique, à ce mélange de conformisme et de névrose qui est la matrice de tous les extrêmes. Il ne faut donc pas s'étonner que la violence et la vulgarité, déjà diffuses dans toutes les classes de la société, prennent un caractère particulièrement insupportable dans les milieux populaires. Le ras le bol vis à vis des provocations et des humiliations vécues quotidiennement est déjà immense, et il existe un rejet viscéral des bandes organisées dont l'impunité provoque un sentiment de détresse et de révolte. Mais aux habitants de ces quartiers qu'on dit sensibles, exprimant une légitime demande de protection, on a expliqué doctement qu'ils avaient les nerfs fragiles, que c'était bien pire au moyen âge, que c'est pour protéger les libertés, nos libertés, que la société doit tolérer l'insécurité, la leur, que si elle fait problème, cette insécurité, c'est seulement parce qu'on en parle trop. Et on leur a stupidement répété cent fois qu'ils devaient avoir honte d'être français, comme si les travailleurs qui ont creusé le métro parisien, comme si les ouvriers agricoles, les manœuvres ou les mineurs qu'ils comptent parmi leurs parents avaient tous possédé des actions dans les compagnies coloniales. Aux ouvriers menacés d'un « plan social », on a dit aussi qu'on supprimait leurs emplois pour en créer d'autres plus attrayants, qu'il en allait de la compétitivité de l'Entreprise France, que "trois jours de grève pouvaient ruiner trois ans de travail commercial [2]", et qu'il valait mieux se tenir à carreau "pour ne pas décourager un éventuel repreneur ". Quand ils sont devenus chômeurs, on leur a dit encore qu'ils doivent changer de manières, et apprendre à se vendre pour se réinsérer. Et à tous les incurables qui s'accrochent à la "culture du refus", que nous ne sommes plus en 1789, que la société démocratique est une machinerie si fragile qu'il y a grand danger à vouloir y changer quoi que ce soit, que toute velléité de réformer le monde relève d'une mentalité totalitaire.

La véritable révolution anthropologique que la bourgeoisie a mise en oeuvre à partir des années 70 a instauré partout comme une norme tacite "l'anxiété dégradante d'être comme les autres dans l'acte de consommer [3]", prémisse d'un nouveau totalitarisme. Mais elle a sans doute ruiné au passage toute possibilité de retour au vieil « ordre moral ». Et parmi ceux qui ont utilisé le vote Le Pen pour mettre en avant, parmi leurs préoccupations, celles qui sont souverainement ignorées par les élites médiatisées, ou pour signifier leur rejet du système, je ne pense pas qu'ils soient très nombreux à envisager sereinement de renoncer aux libertés et aux plaisirs qu'autorise le modèle hédoniste de la consommation, pour s'accommoder d'un mode de vie plus austère, réglé par la tradition, l'épargne, les valeurs familiales. C'est pourquoi le fascisme de demain sera lui aussi hédoniste, pragmatique, totalement en phase avec les marchés. Et seule la reconstitution d'un parti révolutionnaire dans cette société est susceptible de lui faire échec, pourvu qu'il procède, pour inventer du nouveau, à une révision critique sans concession de l'ensemble du corpus doctrinal hérité du vieux mouvement ouvrier, des avant-gardes culturelles et de la vague contestataire de la fin des années 60 : au delà des naïvetés rousseauistes, des schémas millénaristes ou au contraire pseudo-rationnels, et des clivages du début du siècle qui constituent le fond de commerce des diverses fractions de la gauche et de l'extrême gauche.


[1] Pier Paolo Pasolini

[2] A propos des dockers du Havre.

[3] Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires.