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François Lonchampt
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TEXTES DIVERS

Culture ouvrière et révolution
François Lonchampt, 2002

PARU DANS LE N°739 DE LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE (DÉC. 2002)


Depuis le retour de la droite aux affaires, il est de bon ton dans certains milieux de crier au totalitarisme et de jouer les résistants héroïques face au retour de l'ordre moral et à la répression. Et je remarque autour de moi que ce sont ceux qui ont renoncé à toute perspective révolutionnaire qui s'accrochent avec le plus d'acharnement à tous les préjugés commodes de la gauche sociétale. Mais derrière « l'antifascisme de manière, inutile, hypocrite, et, au fond, apprécié par le régime », que dénonçait Pasolini en son temps, qui sert de rideau de fumée, la véritable réaction continue, qui n'est ni de gauche, ni de droite, par l'épuration permanente des entreprises au détriment des "moins productifs", par la généralisation des emplois de conditionnement et de service, pour la plupart précaires et mal payés, et par l'instauration d'un marché du travail sans frontière qui met en concurrence les travailleurs du monde entier. Alors même que les institutions de la République qui ont le plus contribué à l'assimilation des populations d'origine étrangère se délitent, minées à la fois par le multiculturalisme postmoderne et par les modèles existentiels véhiculés par la marchandise, c'est sous la pression des marchés que notre société force la cohabitation des peuples, avec une précipitation jamais connue dans l'Histoire. Douée d'une redoutable capacité dissolvante sur les cultures issus de l'immigration, elle ne propose plus aucune communauté de remplacement, la communion dans l'euphorie publicitaire mise à part.
Déstabilisée par une offensive sans précédent, la culture ouvrière traditionnellement tolérante, a perdu tout pouvoir d'attraction, et nombre de nos concitoyens sont déjà en proie à une forme abominable d'aphasie, à une brutale absence de capacité critique, à ce mélange de conformisme et de névrose qui est la matrice de tous les extrémismes. Et il ne faut pas s'étonner que la violence et la vulgarité, déjà diffuses dans toutes les classes de la société, prennent un caractère particulièrement insupportable dans les milieux populaires. Les humiliations imposées par des bandes organisées dont les comportements sadiques rappellent de sinistres souvenirs, provoquent un sentiment de détresse et de révolte. Mais aux habitants de ces quartiers qu'on dit sensibles, exprimant une légitime demande de protection, on a expliqué doctement qu'ils avaient les nerfs fragiles, que c'était bien pire au moyen âge, que c'est pour protéger les libertés, nos libertés, que la société doit tolérer l'insécurité, la leur, que si elle fait problème, cette insécurité, c'est seulement parce qu'on en parle trop. Et on leur a stupidement répété cent fois qu'ils devaient avoir honte d'être français, comme si les travailleurs qui ont creusé le métro parisien, comme si les journaliers, les manœuvres ou les mineurs qu'ils comptent parmi leurs parents avaient tous possédé des actions dans les compagnies coloniales. Aux ouvriers menacés d'un « plan social », on a dit aussi qu'on supprimait leurs emplois pour en créer d'autres plus attrayants, qu'il en allait de la compétitivité de l'Entreprise France, que "trois jours de grève pouvaient ruiner trois ans de travail commercial [1]", qu'il valait mieux se tenir à carreau "pour ne pas décourager un éventuel repreneur ". Et s'ils ne sont pas contents de leur sort, qu' ils sont des millions, ceux qui sont prêts à prendre leur place et à s'en contenter. Quand on les a mis au chômage, on leur a dit encore qu'ils doivent changer de manières, et apprendre à se vendre pour se réinsérer. Et à tous les incurables qui s'accrochent à la culture du refus, que nous ne sommes plus en 1789, que la société démocratique est une machinerie si fragile qu'il y a grand danger à vouloir y changer quoi que ce soit, que toute velléité de réformer le monde relève d'une mentalité totalitaire.
La véritable révolution anthropologique que la bourgeoisie a mise en oeuvre à partir des années 70 a instauré partout comme une norme tacite "l'anxiété dégradante d'être comme les autres dans l'acte de consommer [2]". Et "le malheur atroce, ou l'agressivité criminelle, des jeunes prolétaires et sous prolétaires provient précisément du déséquilibre entre culture et condition économique. Il provient de l'impossibilité de réaliser (sinon par mimétisme) des modèles culturels bourgeois, à cause de la pauvreté qui demeure, déguisée en une amélioration illusoire du niveau de vie"4. Mais cette révolution de la bourgeoisie a sans doute ruiné au passage toute possibilité de retour au vieil ordre moral. Et y compris parmi ceux qui ont porté leur vote à l'extrême droite pour mettre en avant, parmi leurs préoccupations, celles qui sont souverainement ignorées par les élites médiatisées, ou pour signifier leur rejet du système, je ne pense pas qu'ils soient très nombreux à envisager sereinement de renoncer aux libertés et aux plaisirs qu'autorise le modèle hédoniste de la consommation, pour s'accommoder d'un mode de vie plus austère, réglé par la tradition, l'épargne, les valeurs familiales. C'est pourquoi le fascisme de demain sera lui aussi hédoniste, pragmatique, totalement en phase avec les marchés. Seule la reconstitution d'un parti révolutionnaire dans cette société est susceptible de lui faire échec, pourvu qu'on procède, pour inventer du nouveau, à une révision critique sans concession de l'ensemble du corpus doctrinal hérité du vieux mouvement ouvrier, des avant-gardes culturelles et de la vague contestataire de la fin des années 60. Au delà des naïvetés rousseauistes, des schémas millénaristes ou au contraire pseudo-rationnels, des clivages du début du siècle qui constituent le fond de commerce des diverses fractions de la gauche et de l'extrême gauche, des routine d'une pensée circulaire et des bénéfices faciles que cette routine permet encore d'engranger, c'est à cette réflexion que j'invite les lecteurs de la "RP", et tous ceux qui voudront se joindre à nous pour le mener à bien.

(*) Coauteur (avec Alain Tizon) de Votre révolution n'est pas la mienne, éditions Sulliver, décembre. 1999.


[1] A propose des dockers du Havre.

[2] Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires.