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LA MIENNE


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François Lonchampt
ollantay@free.fr
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DANS CETTE RUBRIQUE:

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CORRESPONDANCES

Correspondance avec André
François Lonchampt, 2002


Cher André,

Voici quelques éléments pour alimenter notre controverse :

Accord sans réserve pour envisager indissolublement la dépossession des moyens matériels de production matérielle de la vie et la dépossession des moyens de production poétique-sensible de l'existence La question de l'antériorité, ou de la primauté de la production matérielle, c'est un peu la question de "la poule et l'œuf". Pour une part de plus en plus grande, d'ailleurs, la production matérielle d'aujourd'hui est production de signes, industrie culturelle, spectacle, information, décors renouvelables, événements, etc. Mais de toute façon, le processus de production matérielle, l'aliénation des forces productives de l'homme, c'est la production de tous les décors de notre vie, les objets familiers qui nous entourent, les moyens qui nous sont offerts pour communiquer à distance, voyager, les espaces dans lesquels nous sommes contraints d'évoluer, les jouets technologiques, les parures, les villes etc. Je crois comme vous qu'il faut reconnaître l'apport essentiel de l'IS sur ce point, et je ne suis pas persuadé que cette dimension était étrangère à Marx. Tout cela c'est une (grande ?) part de la "production poétique-sensible de l'existence", même si le langage, les catégorie de la pensée, la culture, ne sortent pas directement des chaînes de production.

Vous dites que pour l'IS, c'est l'entreprise des artistes d'avant-garde qui est la continuation du projet prolétarien, effectivement, mais… seulement jusqu'à la création de l'IS, car celle-ci va exclure ceux de ses membres qui prétendent à poursuivre une activité artistique, se rallier au marxisme et investir le prolétariat comme exécuteur testamentaire de l'art moderne (l'accent mis sur l'urbanisme est, je crois, une transition dans cette démarche). Les surréalistes, à leur manière, s'étaient confrontés au problème, et ils cherchaient eux-aussi à rejoindre les forces matérielles en capacité de changer le monde ; ce qu'Artaud contestait vigoureusement, comme une trahison (le ralliement de certains d'entre eux au Parti Communiste fût sans doute la mauvaise solution).

Je suis en désaccord sur la question de l'intégration du prolétariat, et la lecture en terme de lutte de classe, que j'estime toujours valable. Nous y reviendrons. D'autre part, je ne pense pas que "le vieux mouvement ouvrier (…) s'est cantonné aux aspects matériels de l'existence", il y avait aussi une certaine idée de l'homme et de la communauté, et une morale ; ni que "le terreau favorable à l'émergence et au développement d'un nouveau rapport de nature religieuse (…) n'existait pas dans la représentation et l'idée du monde qui nourrissait le mouvement prolétarien." En tout cas, cette affirmation devrait être nuancée, il y a évidemment des formes de religiosité dans le mouvement ouvrier qu'on ne peut gommer d'un trait de plume, messianisme profané, sacralisation de la cause ou de l'organisation, évidemment, mais aussi des éléments d'un rapport plus religieux entre les hommes.

Sur la question : "pourquoi la révolution ne s'est pas faite" (c'est celle qui résume presque toutes les autres), et sur les thèses de Voyer, je ne crois pas que l'explication soit la persistance d'une représentation. Ou alors, c'est que l'histoire est l'histoire des idées, mais je ne trouve pas que ce soit un progrès de revenir en deçà des "Thèses sur Feuerbach", par exemple. Si c'est ça que vous entendez par "sortir de l'ornière matérialiste", pas d'accord. Je ne partage pas l'idée non plus que la révolution "n'a jamais paru aussi éloignée de pouvoir s'accomplir", mais là aussi, il faudra y revenir, en lien avec cette question de la lutte de classe.

Tout à fait d'accord quand vous dites que "critique de la marchandise n'équivaut pas à critique du mode de production", et quand vous relevez qu'on ne peut comprendre les pyramides, Stonehenge, une église romane, l'art paléolithique, une auto, une centrale nucléaire ou les Twin Towers "sans rien savoir des représentations et du rapport au monde qui les fonde", qu' "il y a (…) quelque chose de religieux et magique dans le rapport à la marchandise, dans le spectacle", qu'il est "nécessaire de tenter de comprendre la "consommation" d'un point de vue anthropologique, c'est-à-dire qui intègre les caractères proprement et essentiellement humains". C'est un axe de réflexion que nous avions ébauché et que je tiens pour essentiel. Je serai très heureux que vous alliez aussi loin que possible sur cette voie, car vous semblez plus avancés que nous. Sous réserve d'un accord sur quelques points, qui pourrait d'ailleurs inclure la reconnaissance de divergences importantes, il y aurait là la base pour une activité coordonnée, que je crois tout à fait nécessaire d'ailleurs, vue l'ampleur des questions auxquelles nous sommes confrontées.

Il y aurait encore à dire quant "aux processus psychiques pathologiques qui demeurent les remparts ultimes de la citadelle spectaculaire-marchande-techniciste", et sur la critique qui s'applique à l'intériorité. Il faudrait que je vous parle de mon expérience de la "critique du caractère", mais c'est un peu difficile par courrier. Enfin, il me semble totalement erroné de croire que "les formes anciennes de répression ne sont plus nécessaires depuis que le spectacle a colonisé les régions psychiques et affectives de l'individualité." Ce ne pourrait être vrai, à la rigueur, que de certaines parties du monde, et que pour un temps limité, et encore ! Je crois fermement au retour des luttes de classe, et d'autres formes de lutte. Et au retour de formes brutales de répression, qui ne seront peut-être pas des formes anciennes, mais qui ne leur devront rien en terme de cruauté, ou de brutalité.

Cordialement,

François