VOTRE
REVOLUTION
N'EST PAS
LA MIENNE


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François Lonchampt
ollantay@free.fr
http://ecritscorsaires.free.fr


Rapaces
rapaces@fr.fm
http://www.zone-mondiale.org/users/rapaces/



DANS CETTE RUBRIQUE:

La révolution en question - débat ( François Lonchampt , Rapaces , 2003)

Echanges au sein d'un réseau de discussion ( François Lonchampt , 2003)

Correspondance avec André ( François Lonchampt , 2002)

Correspondance avec Echanges ( François Lonchampt , 2002)

Correspondance avec Rapaces ( François Lonchampt , Rapaces , 2002)

Correspondance avec D.R. ( D.R. , 2002)

Echanges au sein d'un réseau de discussion ( François Lonchampt , 2002)

Lettres à P. ( François Lonchampt , 2001)


CORRESPONDANCES

Correspondance avec Rapaces
François Lonchampt, Rapaces, 2002


11 avril 2002

Chers camarades,

L'adresse de notre site (Votre révolution n'est pas la mienne) a changé. Pourriez vous rectifier ? http://membres.tripod.fr/ollontay ne renvoie plus à rien, du fait de la revente de tripod. La nouvelle adresse est : http://ecritscorsaires.free.fr

Bravo pour votre site, j'essayerai de vous en dire un mot bientôt.

Cordialement,

François Lonchampt


14 avril 2002

Chers rapaces,

Je viens de faire un tour sur votre site et j'ai vu que vous aviez déjà modifié notre adresse. J'ai été très content de découvrir un extrait de notre livre sur votre site. Il y a deux questions qui me préoccupent. Pourquoi avez vous choisi précisément cet extrait, alors qu'il y avait dans le paragraphe suivant ("St Just en blouson noir") une charge qui, à mon avis, visait directement le genre que vous critiquez longuement (violent à la mentalité facho, pour dire vite) ? D'autre part, vous semblez vous opposer en tout et dans l'ensemble aux rappers, comment et pourquoi donc avez-vous choisi ce mode d'expression si tous ses interprètes vous sont aussi antipathiques ? Est-ce par affinité sociologique, par goût purement musical, pour un genre d'expression, indépendamment de toute autre considération ? Pourriez vous m'en dire un peu plus sur vous ?

D'autre part, où peut-on se procurer vos disques ou enregistrements, sachant que je ne suis pas équipé de MP3 ? Peut-on vous voir en concert ?

J'ai apprécié votre site, même si je trouve que l'expression de votre révolte a des aspects conventionnels. Je pense qu'il y a un style nouveau de la révolte à inventer, et que l'imitation de la radicalité situationniste est un obstacle à cette invention.

Cordialement,

François Lonchampt


15 avril 2002

Salut François LONCHAMPT,

Avant de répondre à tes questions, on tient à te dire que ton bouquin est vraiment très intéressant... il contribue aujourd'hui à éclaircir les chemins possibles pour en finir avec cette forme de vie qui nous déplait tant...

Bon, pour l'extrait : on n'a pas choisi "St Just en blouson noir" parce que justement on ne veut pas se centrer uniquement sur le rebel-business-rap, afin de dénoncer un abrutissement plus général englobant tous les stéréotypes du prolo-consommateur actuel. Selon nous, "les violents à mentalité facho" sont la face radicale d'un mouvement très large (c'est dit dans le communiqué).

Pour parler du Rap, il est vrai qu'à priori notre démarche peut paraître étrange, voire incohérente et regorgeant de contradictions flagrantes. Pourquoi le RAP ? A la base c'est un mode d'expression anti-marchand : des individus (le plus souvent dans la rue) se parlent d'une manière très articulée, rythmée, parfois sur un fond sonore, c'est tout... Ce qu'ils racontent : les emmerdes quotidiennes face à la précarité, le danger de la condition sous-prolétarienne, la détresse, la joie, la convivialité). Pas de pognon, pas de mecs au dessus des autres pour jouer la star (concert), un échange. C'était évidemment foutu d'avance, comme toute sous-culture née du ventre de la société de classes même si le côté "poubelle" et l'aspect égalitaire, amateur, ont été des freins à la colonisation marchande de cette forme d'expression.

Aujourd'hui, le rap comme toute merde pondue par la marchandise participe à ce qu'on appelle la décomposition sociale, c'est à dire à la destruction de toutes les dispositions, conditions, rendant la liberté et l'égalité possible. Là, nous on intervient avec nos modestes moyens pour tenter de prendre à contre-pied un stéréotype particulier (le rappeur) en nous appuyant sur la légitimité de l'origine de cette sous-culture (gratuité, dialogue...et expression de l'opprimé face à ceux qui l'écrasent). Ca fait chier du monde parce qu'y a un problème : le rappeur doit avant tout exprimer la rue, l'exclu, le banni et donc être intègre suivant les valeurs intrinsèques du mouvement Hip-Hop alors qu'il se soumet aux lois du profit : il lui est difficile de défendre jusqu'au bout cette contradiction. On dit bien "jusqu'au bout" parce qu'en réalité aucun de ces mecs n'est interpellé, la fraction de la jeunesse pauvre adopte ce mode d'expression en y voyant une potentielle source de revenus qui la sortira provisoirement ou définitivement des CDD, du chômage, de la pauvreté. Illusion qu'on tient à présenter comme telle en la recadrant dans une critique globale du système. C'est pour ça qu'on parle du rap, c'est certainement du "pipi de chat" mais on y voit une porte d'accès ouvrant sur les consciences dévastées de cette masse qu'on appelle prolétariat. Ah oui, parce que nous on pense toujours que la seule solution pour en finir avec la survie c'est la lutte frontale, on voit pas d'autres moyens même si c'est une route qu'a été barrée des dizaines de fois... On vit malheureusement la lutte de classes, donc on parle de bourges, de prolos... Quand on pourra réellement participer aux choix de production, quand y'aura plus de patrons, quand la plus-value ne sera plus une réalité, on pourra parler peut-être d'autres choses que Capitalisme contre Révolution. Pour l'instant, on a rien trouvé d'autre que la lutte (sous toutes ses formes) pour faire face. On sait qu'en ce moment certains post-situs (Riesel, qu'on apprécie par ailleurs...), post-pro-situs, post-ultra gauche remettent en cause la Révolution comme méthode, moyen pour flinguer cette société. On veut pas rentrer ici dans un débat qui se veut gigantesque, mais c'est vrai qu'une succession d'échecs ne peut conduire qu'à la remise en cause,... oui mais de quoi ? La radicalité nouvelle, nous aussi on la cherche, elle est peut-être même à porter de main, qui sait ?... Pour l'instant ce qu'il y a de nouveaux ce sont seulement les conditions historiques, c'est tout. C'est pour ça que tout le monde parle de nouvelle radicalité, mais que personne n'est foutu de dire ce que c'est ! Y'a qu'à voir les black-blocs : des insurgés qui font la Une des grands titres et qui s'en retournent dans des squats ou à une vie standard, susceptible d'être tentée par le terrorisme. Nos références aux situs : on les remercie d'avoir contribué à la réactualisation (y'a trente ans) de la théorie et de la pratique révolutionnaires mais pour bonne part, c'est obsolète (hédonisme, provoc', radicalisation comme principe, culte de DEBORD-le-petit-bourge,...c'est si bien décrit dans ton livre) on sait, il n'empêche que des vérités subsistent (théorie du Spectacle),et que la société de classes est encore plus dangereuse maintenant. Au fait, tous les rappeurs ne nous sont pas antipathiques (on a ciblé que le mouvement qui pollue le RAP) : un de la première heure, qui n'a jamais voulu vendre : SHEEK, est un de nos contacts, SKX aussi, des rappeurs amerloques...

Bon, on stoppe étant certains de l'incomplétude de notre réponse. Si tu veux des précisions... t'as qu'à demander ! tu peux pas acheter nos disques, on es présent que sur le net, seul moyen qu'on a trouvé pour distribué gratuitement nos morceaux. Pour obtenir un lecteur de MP3, tu n'as qu'à télécharger sur le net un logiciel (par exemple Winamp).

A bientôt, on espère...

Cordialement.

RAPACES


19 avril 2002

Rapaces,

Merci de votre longue réponse. J'ai apprécié, encore une fois, la promptitude de votre réaction, la substance, la qualité de l'analyse, la nuance, la conviction. De plus, sur l'essentiel, je suis en accord avec l'ensemble des positions exposées, ce qui est à marquer d'une pierre blanche (i.e. :c'est rare !). Évidemment, ce qui me réjouit, c'est que je retrouve là une bonne partie des thèses que nous avons essayé se soutenir dans un bouquin qui nous a coûté beaucoup d'efforts et de nuits blanches (qui nous a procuré beaucoup de plaisir aussi). Comme je ne m'imagine pas que nous vous ayons beaucoup influencé, je dois supposer que vous êtes arrivé sur ces positions par vos propres moyens, et je suppose donc que d'autres, sans doute, de votre génération, y sont arrivés également par des voies qui leurs sont propres. Et ceci me donne de l'espoir. Il faut dire également que je fréquente surtout des gens de mon âge ou plus âgés, voir beaucoup plus, et que j'ai tendance à désespérer de la jeunesse en général. J'imagine qu'il ne vous sera pas très agréable de vous faire traiter (ainsi par moi), d'une certaine manière en représentant d'une classe d'âge, laquelle classe d'âge n'est peut-être, comme on l'a dit, qu'une catégorie publicitaire. Il n'empêche. Je persiste à penser qu'il est nécessaire de rechercher d'emblée une certaine vérité dans le moment où une relation s'établit. Et j'imagine que vous comprendrez facilement ce qu'il y a de désespérant à se voir vieillir sans distinguer, même confusément, la relève, et plus banalement à éprouver l'incommunicabilité la plus totale, l'incompréhension, l'indifférence polie, dans toutes les circonstances qui m'ont fait côtoyer la jeunesse aphasique, la jeunesse à l'extrême de tous les conformismes, la jeunesse sans éclat, apolitique, schizoïde parfois ; la jeunesse satisfaite, au pire, qui ne semble même pas capable d'un simple conflit de génération.

Et que le plaisir que j'éprouve à engager ce dialogue doit aussi quelque chose à cette dialectique "intergénérationnelle". Ceci dit, un des plus grands plaisirs de ma vie a toujours été la rencontre des révolutionnaires, la discussion passionnée de la question sociale. Le courrier que vous m'adressez vaut mieux que votre site, qui n'est pas mauvais, mais qui, dans l'ensemble, reste au niveau de la critique et de la dénonciation. C'est un registre un peu usé qui permet beaucoup de facilité ; mais j'essayerai de revenir là-dessus. D'autre part, la grande question est la question de la révolution. "Tout le fond, toutes les exaspérations de notre querelle roulent autour du mot Révolution", disait Antonin ARTAUD, et nous avons mis cette citation en exergue de notre livre. Artaud qui critiquait les surréalistes, je cite de mémoire, pour toutes les limites de leur pauvre révolution sociale, au nom d'une révolution indicible, incommensurable aux enjeux politiques du temps et aux conflits qui opposent entre elles les classes sociales. Mais je persiste à penser que les surréalistes avaient raison quand ils cherchaient passionnément à rejoindre les forces pratiques en mesure de mettre en œuvre au moins dans une certaine mesure le bouleversement qu'ils appelaient de leurs vœux. Et ceci, même si cette recherche passionnée conduit certains d'entre eux à se mettre au service de la clique qui s'était emparé pour le compte de Moscou de tous les postes de direction du Parti Communiste Français.

D'accord avec vous, donc, sur la fidélité à l'idée révolutionnaire, mais à condition 1) qu'on s'attache à prendre en compte et à réfuter, si ces possibles, toutes les critiques de bonne fois qui ont pu être portées à l'encontre de ces conceptions révolutionnaires, et qu'on s'attache honnêtement, et avec acharnement à comprendre pourquoi nos conceptions ont pu, trop souvent, susciter la méfiance et même l'aversion y compris chez les plus défavorisés. Pourquoi les révolutions ont-elles échouées ? Et ceci n'est pas pour moi une question rhétorique, un débat "pour la forme" dont je possèderait déjà les réponses toutes prêtes.

2) qu'à la lumière de la réflexion qui précède, on s'attache à rechercher les formes originales et les contenus que devra prendre la révolution pour notre temps. Fidélité aux combats historiques du prolétariat, à la vieille cause de la république sociale, de la révolution prolétarienne, à la vieille guerre des pauvres, comme dirait l'EDN. Mais inventer du nouveau, car ce monde s'est justement profondément transformé pour absorber les poussées révolutionnaires du siècle passé. Et que dans cette mesure, les mouvements révolutionnaires qui devront en venir à bout doivent être des mouvements d'une qualité inédite. D'accord avec vous pour ne pas faire une croix sur la classe ouvrière et sur les luttes de classes, je vous renvois à un texte que vous auriez pu trouver sur notre site, et que je remets en pièces jointe. Mais je pense qu'il ne faut pas tout attendre des luttes de classes, cependant, comme le marxisme nous y incite, sous peine de grandes déception. En résumé, "dans l'état actuel de la société en Europe, nous demeurons acquis au principe de toute action révolutionnaire, quand bien même elle prendrait pour point de départ la lutte des classes et pourvu seulement qu'elle mène assez loin" a dit André BRETON.

Voilà les grandes lignes, sommairement. Quels sont encore les thèmes à creuser ? L'interdépendance des sociétés humaines pose problème, la diffusion des technologies extrêmement dangereuse, la puissance de feu des armées de métier, la présence en France d'une forte composantes de population immigrée à mon avis imperméable aux registres révolutionnaires, ignorante et peu désireuse de connaître les peines et les luttes des générations qui les ont précédés sur cette terre qu'on dit d'accueil, la jeunesse ouvrière (autochtone) ignorant, de même, les luttes, les peines de sa propre classe, qui s'imagine invitée à partager sans combattre les jouissances des possédants, l'état d'abaissement de la classe ouvrière et son anéantissement symbolique, la perte de substance du travail humain/l'invasion du travail improductif, l'implacable colonisation marchande de la vie quotidienne et de l'imaginaire et ses conséquences, le risque d'une hypothétique mutation anthropologique par dégradation d'une humanité inapte à la liberté (ce n'est qu'une hypothèse/limite mais qui doit être réfléchie en tant que telle). La question des apories de la pensée révolutionnaire, qui sont nombreuses (un nécessaire inventaire). Et encore : quelles sont les normes que nous entendons substituer à celles qui sont en vigueur, les principes que nous comptons proposer aux hommes pour remplacer les lois inique du marché ? Comment "mener la société à cette remise en cause fondamentale qui préside à la naissance d'une nouvelle utopie", comme disait Thierry Paquot ? Questions plus théoriques, non négligeables : quelle validité de la théorie du prolétariat (marxiste), quel est aujourd'hui le domaine de validité du marxisme ?

Ce sont, en vrac quelques unes des questions qui me hantent et sur lesquelles j'essaye modestement de travailler par tous les moyens. A l'évidence, seul un travail organisé et discipliné de recherche et de réflexion peut nous permettre d'avancer. D'autre part, je ne crois pas à la constitution de groupe qui soit seulement théoriciens. Il faut envisager la théorie et sa communication, la stratégie est nécessaire. Je reste séduit par les théories situationnistes de l'organisation et par les résultats obtenus dans un premier temps par l'I.S. Au moins, et malgré les critiques elles même radicales, graves et justifiées qu'on doit leur faire, les situationnistes s'étaient au moins proposés des défis à la hauteur. Et ils s'étaient donner quelques moyens de les affronter. La critique de leur entreprise reste à faire, mais leur exemple m'inspire toujours. J'aurai un grand plaisir à poursuivre cette conversation dans les jours qui viennent.

Cordialement,

François Lonchampt

PS : Pas le temps de relire très attentivement.


27 avril 2002

Cher François Lonchampt,

D'abord, toutes nos excuses pour ne pas avoir répondu plus tôt : nous avons eu des problèmes de connections internet.

Bon,... Et bien apparemment on se pose les mêmes questions ! on n'avait pu le constater en lisant ton bouquin et tes courriers le confirment. Parce que tu viens d'aborder une multitude de thèmes que l'on ne pourra essayer de traiter que méthodiquement lors d'une longue correspondance qui pourrait, dès maintenant, s'instaurer entre toi et nous, la réponse qui va suivre ne respectera pas d'ordre particulier...

Au sujet de notre génération : Nous sommes tous âgés entre 20 et 30 ans et, comme tu t'en doutes, rien ne nous rattache au monde, aux valeurs, à la manière de penser et d'agir de la grande majorité de ceux qu'on appelle « les jeunes ». La jeunesse à laquelle on peut faire référence c'est cette formidable aptitude à changer le monde, comme pouvait le dire Luckacs. D'où une extrême solitude dans laquelle nous plongeons le plus souvent au contact des ces zombies fiers de n'être rien et d'ignorer qu'ils sont les oubliés de l'Histoire mais aussi et avant tout de la vie... Pour le peu qu'il ait conduit à un résultat atypique en matière de conscience, le parcours de la plupart d'entre nous n'a rien d'extraordinaire. Tous, nous sommes filles, fils de petits, moyens salariés, chômeurs, familles bi ou monoparentales et devenus nous-mêmes des ouvriers, employés, chômeurs, étudiants (ça c'est pour les données sociologiques),... aucun n'a encore goûté à la prison.

Pour parler de nous encore et pour rebondir sur tes observations sur les immigrés, certains des nôtres sont justement issus de l'immigration. La question de la population immigrée, rendue tabou par les manipulations « à la SOS RACISME », se pose en effet à tous ceux qui souhaitent, comme nous, détruire le capitalisme pour instaurer « autre chose » (pour l'instant on va appeler ça comme ça ! ). Il est en effet toute une série de difficultés différentes, pour ne pas dire supplémentaires, de celles rencontrées par les autochtones , que les fils d'immigrés doivent affronter pour entrer en subversion. Par exemple, l'emprise de vieux mécanismes d'oppression, d'aliénation, comme la religion, le patriarcat, l'autoritarisme dans l'éducation, est presque totale dans la plupart des cultures des populations immigrées... Et pourtant lorsque tout réussit à être briser, la rage de vaincre, la conviction, l'instinct de la révolte en sortent plus forts... Enfin, c'est ce que nous pouvons constater parmi nous. Néanmoins, pour tempérer nos propos, on pense qu'il existe des éléments de culture potentiellement anticapitalistes au sein même de ces pratiques traditionnelles : la convivialité, le respect de la parole donnée, la simplicité et la modestie, la fidélité absolue dans l'engagement, la quête de la cohérence et du sens... On pense, donc, que l'imperméabilité des populations immigrées au mouvement révolutionnaire est loin d'être absolue. Ici, on souhaiterait s'interroger sur la pertinence de la référence à l'histoire du mouvement révolutionnaire... Est-ce réellement nécessaire de légitimer ses actes en fonction du mouvement révolutionnaire, des théories, des pratiques qu'il véhicule ? On pense que si cela peut en une certaine manière aider à établir les conditions de l'action, à affiner une théorie, il n'en reste pas moins vrai que les conditions actuelles permettent l'existence de nouvelles conduites subversives, bases potentielles d'un programme futur pour la nouvelle révolution. La société de classes a atteint un tel niveau de décomposition qu'elle est obligée de détruire non seulement toute ancienne forme de vie sociale mais aussi de « formater » les êtres humains et les êtres vivants pour se perpétuer. On est en pleine logique suicidaire-marchande. A partir de là, les révolutionnaires n'ont, dans un premier temps, qu'à identifier cette logique comme processus, défendre ce qu'il y a de plus intime dans l'homme par ce que c'est cette intimité même qui, maintenant, est menacée...Dire simplement que l'on rejette ce système fondamentalement abominable et dire au nom de quels aspects de la vie on le rejette peut s'avérer, selon nous, la méthode d'urgence à adopter servant d'appui pour un prochain assaut prolétarien. C'est un peu ce que dit RIESEL aussi, mais là où on ne le suit pas c'est que lui abandonne toute idée de révolution. Les apports de la pensée marxienne sont très importants selon nous, et on reviendra plus tard là dessus, si tu le veux bien... RIESEL pense que dans la situation actuelle il faut « refonder » (le terme est de nous ) l'anarchie... Apparemment il voit l'action par à partir de l'organisation de petits groupes déterminés... C'est un vieux concept repris par VANEIGEM il y a trente ans...C'est vrai qu'à l'heure actuelle, les organisations de masses étant désertées, il reste cette voie, mais celle-ci ne pourra en rien à elle seule changer le cours des choses, au pire elle peut mener droit au terrorisme. Et puis, il y a une grande faiblesse à vouloir lutter contre l'atomisation en la préconisant...« qu'on s'attache à prendre en compte et à réfuter, si ces possibles, toutes les critiques de bonne fois qui ont pu être portées à l'encontre de ces conceptions révolutionnaires, et qu'on s'attache honnêtement, et avec acharnement à comprendre pourquoi nos conceptions ont pu, trop souvent, susciter la méfiance et même l'aversion y compris chez les plus défavorisés. Pourquoi les révolutions ont-elles échouées ? Et ceci n'est pas pour moi une question rhétorique, un débat "pour la forme" dont je possèderait déjà les réponses toutes prêtes. » : C'est le débat de fond par excellence... Et on est bien sûr d'accord pour y contribuer de manière constructive... La question « pourquoi les masses ne se révoltent pas alors qu'elles ont toutes les raisons de se révolter ? » est une des questions les plus importantes auxquelles les révolutionnaires doivent tenter de répondre. Un mec comme WILHELM REICH avait à son époque apporté des réponses qui semblent toujours, selon nous, d'actualité. A l'approche de l'analyse caractérielle et de la psychologie de masse, on peut toujours ajouter une critique inspirée des grands socialistes comme MARX et PROUDHON, il n'empêche que le problème est très loin d'être résolu et ce pour toutes un tas de raisons qu'on pourrait essayer d'exposer prochainement.« qu'à la lumière de la réflexion qui précède, on s'attache à rechercher les formes originales et les contenus que devra prendre la révolution pour notre temps. Fidélité aux combats historiques du prolétariat, à la vieille cause de la république sociale, de la révolution prolétarienne, à la vieille guerre des pauvres, comme dirait l'EDN. Mais inventer du nouveau, car ce monde s'est justement profondément transformé pour absorber les poussées révolutionnaires du siècle passé. Et que dans cette mesure, les mouvements révolutionnaires qui devront en venir à bout doivent être des mouvements d'une qualité inédite » : Oui, inventer du nouveau dans la fidélité, peut-être aussi révéler pourquoi à certaines époques des pratiques sont meilleures que d'autres. Ainsi, pour la 4ème Internationale tout aujourd'hui prouve que le problème de la Révolution est celui de la direction du prolétariat (exemple de l'argentine où tout est propice à une révolution mais où elle n'a pas lieu, faute d'organisation suffisamment puissante)... d'après RIESEL et son équipe, il faut aujourd'hui renouer avec la tradition luddite, avec le sabotage parce les conditions l'exigent (Économie/Science destructrice) ... En poursuivant cette idée jusqu'au bout il en vient à remettre complètement en cause l'idée (idéologie) de progrès... Certains aux USA et au CANADA veulent carrément détruire complètement l'arsenal industriel pour revenir à des conditions de vie proches de celles des premiers hommes... Est-ce réalisable ? Est-ce bien raisonnable ? On n'a une prise de position sur la question, qu'on pourrait t'exposer prochainement... Quelle société voulons-nous ? Comment être apte à cette société ? Jusqu'où le cancer spectaculaire marchand nous a-t-il réellement rongé ? Quelle organisation active pour maintenant ? Combien de temps nous reste-t-il ?

« Quels sont encore les thèmes à creuser ? L'interdépendance des sociétés humaines pose problème, la diffusion des technologies extrêmement dangereuse, la puissance de feu des armées de métier, la présence en France d'une forte composantes de population immigrée à mon avis imperméable aux registres révolutionnaires, ignorante et peu désireuse de connaître les peines et les luttes des générations qui les ont précédés sur cette terre qu'on dit d'accueil, la jeunesse ouvrière (autochtone) ignorant, de même, les luttes, les peines de sa propre classe, qui s'imagine invitée à partager sans combattre les jouissances des possédants, l'état d'abaissement de la classe ouvrière et son anéantissement symbolique, la perte de substance du travail humain/l'invasion du travail improductif, l'implacable colonisation marchande de la vie quotidienne et de l'imaginaire et ses conséquences, le risque d'une hypothétique mutation anthropologique par dégradation d'une humanité inapte à la liberté (ce n'est qu'une hypothèse/limite mais qui doit être réfléchie en tant que telle). La question des apories de la pensée révolutionnaire, qui sont nombreuses (un nécessaire inventaire). Et encore : quelles sont les normes que nous entendons substituer à celles qui sont en vigueur, les principes que nous comptons proposer aux hommes pour remplacer les lois inique du marché ? Comment "mener la société à cette remise en cause fondamentale qui préside à la naissance d'une nouvelle utopie", comme disait Thierry Paquot ? Questions plus théoriques, non négligeables : quelle validité de la théorie du prolétariat (marxiste), quel est aujourd'hui le domaine de validité du marxisme ? » : Quand tu veux on peut commencer un débat (thème par thème ce serait mieux) !

A très bientôt, on espère...

RAPACES


8 mai 2002

Chers RAPACES,

Le temps passe et je me laisse facilement détourner par des petites choses. Je ne néglige pas du tout notre correspondance, bien au contraire, j'en attend beaucoup. Mais j'ai tendance à remettre au lendemain les choses les plus importantes, celles qui me tiennent à cour (téléphoner à un ami, par exemple), alors que je traite au jour le jour un certain nombre de choses qui sont moins impliquantes. Il faut dire quand même que le travail salarié et les transports me laissent peu de temps. Heureusement, cinq jours de congés vont me permettre d'avancer. Je suis tout à fait partant pour une discussion ordonnée, par thème. L'effort de méthode peut être fructueux, même si je sais à l'avance qu'il y aura des hauts et des bas, des éclipses, des malentendus, même si d'autres tâches, d'autres rencontres, d'autres débats vont interférer. Heureusement, d'ailleurs.

Vous verrez que j'ai tendance à retourner les idées dans tous les sens en recherchant systématiquement les contradictions. J'essaye quand même de me réfréner, car ce genre d'exercice peut avoir quelque chose de destructeur. Il y a aussi là quelques restes d'une époque où la posture "critique" était la posture par excellence du radical, toujours plus où moins embusqué avec son escopette de théoricien pour tirer sans sommation de préférence sur son propre camp. A ce travers, je rajoute le goût du paradoxe, qui peut être irritant à force. Je recherche aussi la nuance, d'une certaine manière comme antidote à l'esprit de radicalité et de simplification (à mon éducation situationniste), mais aussi parce que je la crois nécessaire, au point où nous en sommes rendus, parce que je crois qu'elle peut donner un vrai pouvoir de pénétration à nos idées. Je vais donc discuter un certain nombre de vos affirmations que je trouve un peu péremptoires. Je ne cherche pas, ce faisant, à émousser le tranchant de votre propos, ou vous amener subrepticement à des compromis coupables ou à des accommodements. Je vous ferai sans doute part, à un moment ou à un autre, des compromis et des accommodements que j'ai trouvé nécessaires, de ceux que j'ai été amené à faire, ou que j'envisage, mais ce qui vaut pour mon compte n'a pas valeur universelle.

Je reprend ma plume électronique ce soir, car il fait beau et je vais me balader pour en profiter un peu. Vous trouverez ci-joint un texte que j'ai trouvé très intéressant par les questions soulevées. Je n'en partage pas la conclusion, mais la problématique est essentielle. Ci-joint également une introduction et un commentaire personnel de ce texte que j'ai rédigé en vue, et à la suite d'une réunion qui était consacrée à sa discussion. A part ça, je travaille à mieux rédiger et à ordonner le programme de discussion que je vous ai communiqué en fin de mon courrier du 19 avril.

Cordialement,

François Lonchampt

Je vous recommande les textes traduis de l'américain que nous avons mis en ligne (récemment pour certains) de notre ami Loren Goldner. Celui sur la Classe ouvrière américaine est long et difficile (connaisseurs de Marx bienvenus !), les autres sont accessibles et très intéressants à mon avis.


11 mai 2002

Je viens de relire votre mail du 27 avril. En évoquant dans le précédent courrier des affirmations "un peu péremptoires". Je visais la phrase suivante : "A partir de là, les révolutionnaires n'ont, dans un premier temps, qu'à identifier cette logique comme processus, défendre ce qu'il y a de plus intime dans l'homme par ce que c'est cette intimité même qui, maintenant, est menacée... Dire simplement que l'on rejette ce système fondamentalement abominable et dire au nom de quels aspects de la vie on le rejette peut s'avérer, selon nous, la méthode d'urgence à adopter servant d'appui pour un prochain assaut prolétarien."

Il me semble qu'on a déjà proclamé bien souvent que "les révolutionnaires n'ont qu'à…" faire ceci ou cela, (ou que le parti aura à prendre les mesures les plus énergiques, ou que les prolétaires auront à rompre avec ceci et cela, que le prolétariat devra…faire ceci ou celà) et que l'on a déjà mis au point au moins mille fois "la méthode d'urgence à adopter servant d'appui pour un prochain assaut prolétarien". C'est un travers chez presque tous les révolutionnaires du XXème siècle, qui étaient persuadés de parler du haut des pyramides et pour les siècles futurs. Mais je crois que cela fait justement partie de ces travers à abandonner. Il faut plus de modestie. Pourquoi ne pas la chercher, cette méthode, patiemment, je ne refuserai pas de discuter d'un possible point d'appui pour un nouvel assaut prolétarien, ou pour un coup du monde, comme disait l'IS dans une formule que je trouve saisissante (autrement posée : comment mener la société à cette rupture fondamentale qui préside à la naissance d'une nouvelle utopie ?) ; mais il doit s'agir alors d'un travail collectif d'une certaine ampleur. Posée à ce niveau de généralité (que ce soit dans vos formulation ou dans celle que je viens de donner) la question me paraît hors de portée d'un petit groupe, impossible à résoudre dans le cadre d'un dialogue comme celui-là, seulement dans un cadre plus vaste.

Vous dites justement que la constitution de petits groupes n'est pas une solution, et que suis entièrement d'accord. Les révolutionnaires, de tous temps, ont cherché à constituer des partis, même des partis assez restreints (le KAPD en Allemagne dans les années 20, la FAI et le POUM en Espagne sont des exemples, plus ou moins ouverts, plus ou moins prosélytes), ce qui veut dire autre chose que des groupes d'activistes. Un parti cherche à recruter un minimum, accepte une certaine hiérarchisation, et il existe une limite précise entre l'extérieur et l'intérieur, ie : on en est ou on en est pas). Après réflexion, ce modèle (à préciser) me semble préférable à celui des groupes activistes entretenant des liens sur la base de l'autonomie, à celui du réseau, de la mouvance informelle.

D'autre part, la formule "ce qu'il y a de plus intime dans l'homme", qu'il n'y a "qu'à défendre", n'est pas si évidente qu'il y parait. J'ai bien la sensation, moi aussi, qu'il y a une tentative de prise en main, de colonisation de ce qu'il y a de plus intime dans l'homme. Je pense que cela a commencé dans les années 60 avec la société de consommation (ou avec le fascisme). Les méthodes ultérieures, actuelles, sont plus pernicieuses, plus retorses, plus puissantes peut être, et on cherche véritablement à manipuler les émotions, les sentiments, les affects. La démarche est plus individualisée que celle du fascisme, on s'attaque à chacun de nous, dans sa singularité ses rêves, etc… Mais je ne pense pas qu'il y ait de méthode défensive qui tienne la route. Il y aurait donc quelque chose d'intime dans l'homme qui serait resté à l'abri de la colonisation marchande, une sorte de camera oscura, une intériorité inviolée, à préserver et à défendre ? J'en doute, en tout cas, disons que l'image ne me convient pas ; elle est simpliste. (Il est possible que certains passages de notre livre aillent dans ce sens.) Par exemple, si j'essaye de faire un peu d'introspection, je ne trouve pas en moi cette terre vierge, ce domaine qui n'aurait pas été perverti. Ce domaine que vous placez dans l'intériorité de l'être, je crois pour ma part qu'il est à construire, (même si le mot construire ne convient pas non plus), à conquérir. C'est une démarche poétique, une quête ou une conquête, plutôt qu'une défense ou une préservation.

Pour ma part, à la place de "les révolutionnaires n'ont qu'à…", je préférerai "nous avons décidé, dans un premier temps…". Cela aurait l'avantage de relativiser un peu, de laisser la possibilité d'autres choix, car je ne crois pas qu'il y ait un seul angle d'attaque, un seul point de vue. D'ailleurs je ne pense pas non plus que les motifs de révolte soient les mêmes pour tout le monde. On s'est bien rendu compte avec le temps, par le parcours de certains qui étaient sur les mêmes barricades, dans les années 70, qu'ils n'y étaient pas pour les mêmes raisons que nous. Mais il peut y avoir aussi des raisons très différentes de s'en prendre à ce monde, également respectables. Donc, ne pas prétendre d'emblée à l'universalité de votre point de vue. Ca n'empêche pas de l'illustrer, de le défendre, de le développer, d'en examiner toutes les implications, de le pousser dans ses ultimes conséquences. Et l'avantage encore de parler à la première personne, même si c'est un collectif, plutôt que de s'abriter derrière les nécessités de l'époque ou les tâches urgentes des révolutionnaires, c'est que ça oblige aussi à soutenir son point de vue dans ce qu'il a de particulier, et d'argumenter l'articulation de ce point de vue forcément particulier (vous êtes des êtres humains définis sociologiquement et d'autres manières) avec un point de vue universel, une perspective révolutionnaire à construire. On ne peut supposer cette articulation d'emblée réalisée, on ne peut universaliser son propos au forceps. Il conviendrait plutôt de "dire simplement que nous rejetons ce système fondamentalement abominable et dire au nom de quels aspects de la vie nous le rejetons", en sachant que ce n'est qu'une possibilité, que d'autres pourront le rejeter au nom d'autres aspects de la vie, qui nous/vous surprendront. Et quoiqu'il en soit, je ne crois pas que cela s'avère "la méthode d'urgence". C'est seulement une démarche intéressante car elle met l'accent sur ce qu'il y a peut-être à préserver dans le monde (rupture nécessaire avec la table rase que le capital a repris à son compte pratiquement, voir "l'Encyclopédie des nuisances", Orwell, Michea, Christopher Lasch…) et pas seulement sur ce qu'il y a à détruire ou à inventer. Mais ce n'est pas la panacée, il y en a d'autre (par exemple, classiquement, dire au nom de quelle utopie, ou/et de quelle indignation, en se référant à quelle histoire - celle du mouvement ouvrier, de la révolution française, etc.…). La référence à la tradition et à l'histoire du mouvement révolutionnaire ou ouvrier, notamment, doit bien intervenir à un moment ou à un autre, à moins que ne se produisent des phénomènes totalement nouveaux, mais je ne vois pas de quoi il peut s'agir dans ce cas. Sur la question des nouvelles conduites subversives, que vous semblez placer en opposition avec cette référence, je n'ai pas bien compris la controverse, votre question. Je suppose, oui, qu'il peut y avoir des nouvelles conduites subversives, mais qu'entendez par là ? J'avoue que je suis un peu allergique à ce concept de "nouvelles conduites subversives", à cause de l'usage qu'en ont fait les situs, très prometteur au départ et très décevant en fin de compte, surtout avec le recul et ayant appris ce qu'on sait, puisqu'il se ramenait à quelques comportements de bohème, un peu d'illégalisme, l'apologie des blousons noirs et un manque de manière qui est désormais complètement passé dans les mœurs de l'époque, et dans ce qu'elles ont de plus détestables. Et à part ça, d'avoir fait passer les comportements des blousons noirs sur le plan des idées, comme l'a dit Vaneigem, ce qui ne fût pas une réussite. Je pense que la question de nouvelles conduites est primordiales, "subversives" est plutôt une facilité de langage dont on a abusé. Pouvez-vous donc préciser ce que vous entendez ?

Sur la question de l'immigration, je propose d'y revenir plus tard, si vous voulez bien. J'essaye de boucler un texte consacré aux élections dans lequel j'évoque la question. C'est en tout cas un sujet presque tabou, ou très difficile à aborder dans les milieux que je fréquente. De même d'ailleurs que la fameuse question de l'"insécurité", qui à mon avis, n'est pas une pure création de la presse, contrairement à ce qu'il est de bon ton d'affirmer dans la gauche sociétale. Mais je remarque autour de moi que ce sont souvent ceux qui ont remisé leurs anciennes idées révolutionnaires qui s'accrochent avec le plus d'énergie et d'agressivité aux positions de la gauche sociétale (les émigrés, les jeunes, les femmes sont toujours très bien, la demande de protection exprimée par les gens modestes est un produit des campagnes de presse, l'insécurité n'est qu'un "sentiment" qui doit se soigner, il faut autoriser les drogues et les raves party, etc…)

Enfin, j'admire Reich comme révolutionnaire qui fût pourchassé toute sa vie, mort en prison, et son œuvre est intéressante. Mais l'analyse caractérielle ne me semble pas très utilisable, et sans doute pas très juste, j'ai expérimenté pour ma part les dégâts que son utilisation sauvage pouvait produire (par exemple tentatives de "dissoudre la cuirasse caractérielle"…).

Dernier point, je n'ai pas d'avis très précis concernant la remise en cause radicale du progrès, je me méfie vaguement de ces théories. Votre prise de position sur ce sujet m'intéresse.

Vous trouverez ci-joint un état un peu plus avancé de mon programme de réflexion. Il est énorme et il faudrait une armée d'universitaires révolutionnaires pour en venir à bout. Je vous propose de le préciser peut-être dans un premier temps, pourquoi pas en annotant le document et en me le retournant, puis de se centrer sur certains points. Pourquoi ne pas engager la discussion à partir du texte d'Orsoni, s'il vous a inspiré ? Cela me conviendrai assez, et il est assez central pour déboucher sur de nombreux points intéressants (qui font partie de mon programme, ou d'autres).

Une dernière chose, je participe à un groupe de discussion qui se réunit régulièrement, et j'aimerai communiquer nos échanges de correspondance à certains camarades de ce groupe, ainsi qu'au personnes (peu nombreuses) à qui je fais parvenir depuis peu quelques documents (dont la petite liste de diffusion dont vous faites d'ailleurs partie). Dites moi ce que vous en pensez. Si ça vous semble prématuré, je me conforme à votre avis.

Cordialement,

François


13 mai 2002

François Lonchampt,

On a bien reçu tout ce que tu nous a envoyé. Tu te doutes bien que ces différents écrits suscitent de nombreuses réactions de notre part. Aussi, on prendra quelques jours pour te répondre...

Bonne continuation et à très bientôt.

RAPACES


28 septembre 2002

Salut Rapaces,

Le temps passe. J'ai déjà expérimenté ce phénomène, de relations qui démarrent avec enthousiasme par mail, et qui subitement s'interrompent. Je crois que c'est spécifique d'internet, surtout si on ne se rencontre pas physiquement. Pour le coup, je crois que la balle était restée dans votre camp. Vous trouverez ci-joint une version un peu améliorée du programme de discussion que je vous avez fait parvenir, et auquel vous m'aviez promis de réagir. Une réaction même approximative serait mieux que rien, après tout, il ne s'agit pas d'un concours de théorie, et peut-être que c'est la formulation même de ces questions qui pose problème. Il ne s'agit évidemment pas d'un programme figé, je cherche des camarades pour le discuter et le redéfinir. sans grand succès jusque là.

(...)

Cordialement,

François


28 septembre 2002

Salut François,

Non, on est loin de t'avoir oublié. On ne te répond pas pour l'instant car certains d'entre nous font un long séjour en Amérique du sud et notamment en Argentine pour observer, assister, essayer de participer à ce qu'il se passe là bas. On fait les choses collectivement, donc pas de suite pour l'instant à notre intéressante correspondance. Par ailleurs, nous pensons très sincèrement avoir un retard par rapport à toi au sujet de tout un tas de connaissances et d'expériences que tu as pu acquérir. Cela ne nous stoppe en rien, bien évidemment, dans notre réflexion, mais nous force à approfondir certains thèmes, à essayer d'emprunter des voies non saturées pas l'intellectualisme, la spéculation. Le document parmi tout ceux que tu nous as envoyés qui nous a le plus atteint est celui d'Orsoni (question 2 de ton programme) ; on a commencé à rédiger quelque chose par rapport à cela, mais non terminé, il nous faut encore du temps.

Une remarque, et cela concerne justement et fondamentalement ta démarche (...) : N'y a-t-il pas un danger, ne serait que dans la justesse d'appréhension les événements, des forces en présence, à théoriser en dehors de la pratique ? C'est juste une question à laquelle ta réponse pourra nous permettre de nous éclairer, en plus tu contribues certainement à l'organisation du changement sur le terrain. En tout cas, prends pas cette question comme une provoc' ou un truc comme ça, c'est pas du tout notre intention.

(...)

En tout cas, merci de penser à nous, ça fait plaisir de constater que l'obstination est encore en vie dans ce monde si confus. Sans aucun doute, nous tentons d'entretenir cette qualité également.

A très bientôt.

La balle est dans notre camp, tu auras une(des) réponse(s) d'ici fin novembre.

RAPACES.


Premier octobre 2002

Salut Rapaces,

J'ai été très content de trouver votre prompte réponse hier matin. Je m'intéresse beaucoup à ce qui se passe en Argentine, où j'ai séjourné en 1976, et où, d'après ce que je peux comprendre, se déroule un processus révolutionnaire larvé. Sachant que les révolutions de demain ne rendront pas les formes de celles du passé, je crois qu'il y a beaucoup à apprendre de ce pays. J'ai trouvé dans la revue "Enfoques" (1) les coordonnées d'un site internet qui rassemble des informations et des points de vue sur les assemblées de quartier de la ville de Cordoba, qui permet de suivre les débats dans ces assemblées (2). Une bonne nouvelle également, notre livre est en cours de traduction pour une édition espagnole, Alikornio (3).

(...)

Concernant le danger à théoriser en dehors de la pratique, à mon avis, il n'existe pas, même quant à la justesse d'appréhension les événements, des forces en présence. D'abord parce que le travail théorique, surtout s'il est mené à plusieurs, est déjà une pratique en tant que telle, qui suppose de l'organisation et de la discipline, et implique une dimension matérielle (courriers, réunions, publications, rencontres…) ; ensuite parce qu'il n'existe pas de pratique qui garantisse véritablement cette justesse d'appréciation. Par contre, il y a effectivement du danger à penser, et on peut imaginer que la pratique (militante, ou autre) serve de garde fou. Mais c'est évidemment une très mauvaise solution (l'activisme le plus échevelé peut s'accorder avec le plus grand délire idéologique, comme les maoïstes en ont fait la preuve), sauf dans certaines circonstances et pour certaines personnes. Ainsi, certains de ma génération se sont engagés au début des années 70 dans une sorte de fuite en avant dans la théorie, qui nous permettait de nous masquer à nous même le terrible reflux des événements de mai, que nous n'étions pas armés pour comprendre et pour supporter (c'était très largement au dessus de nos moyens théoriques, justement, et d'autre part, il y avait dans notre investissement émotionnel une dimension quasi-mystique qui dissimulait d'autres questions, de celles qu'on cherche à résoudre plutôt par l'introspection, j'ai fini par l'admettre, et que nous n'étions pas prêts à affronter). Dans ce cas, assez extrême, un certain retour à la pratique a pu être salutaire (presque thérapeutique !), que ce soit par le militantisme, le travail salarié, ou d'autres activités.

Mais en dehors de certaines circonstances bien précises, qui n'ont aucun caractère d'exemplarité et à partir desquelles on ne peut rien généraliser, cette idée répandue (du danger à penser hors de la pratique), n'est qu'une résistance à la difficulté de penser, et au danger qu'il y a à penser en général. C'est une manière de se cantonner dans une pensée de "basse intensité", non dérangeante. Penser sans garde fous, sans "liens avec les luttes", par exemple, c'est s'exposer à découvrir des choses qui nous dérangent véritablement, à voir remettre en cause ses certitudes, y compris celles auxquelles on est le plus attaché, et c'est bien ça le problème ; c'est affronter des périodes d'angoisse profonde, de doute, et tout le monde n'y est pas prêt, ni n'éprouve le besoin de s'y préparer (ce qui pose un vrai problème, notamment quand on est engagé dans une démarche collective). Mais il n'y a pas le choix, il faut en passer par là. Pour ma part, je n'ai commencé à penser par moi-même qu'après avoir décidé de tout soumettre à la critique, y compris mes chères idées révolutionnaires (à l'occasion de la rédaction du livre), que j'avais pendant trente ans à peu prés soigneusement conservée à l'abri de tout. Et c'est vrai que j'ai alors passé un très mauvais moment, doutant de tout et au bord du renoncement.

(...)

Pour ma part, je persiste à penser, sans aucun doute à ce sujet, que les avancées que nous avons à faire sont des avancées théoriques avant tout. Ce qui n'exclut pas d'envisager la communication des résultats obtenus par tous les moyens appropriés, revue, affiches, ou autres. Nous manquons beaucoup plus de penseurs que de militants. Enfin, si vous voulez, dites en moi un peu plus sur la façon dont ce débat s'est posé pour vous, d'où vient cette méfiance de l'intellectualisme et de la spéculation. Cette discussion est pour moi primordiale, justement parce qu'il y a un verrou à faire sauter dans nos milieux, quelque chose qu'il faut creuser.

Quant à l'avance que j'aurais pris dans la réflexion, la lecture, et quelques expériences, elle existe sûrement, c'est bien naturel, et c'est tant mieux si c'est pour vous un motif supplémentaire pour approfondir et aller plus loin. Mais je ne doute pas que vous trouviez les raccourcis nécessaires pour faire plus de chemin, plus rapidement. Si je peux vous aider en quoi que ce soit, j'en serai heureux. Il ne faut pas craindre d'échanger sur les doutes, les incertitudes, les questions. En tout cas, j'apprécie cette échange, n'en doutez pas. Seriez vous d'accord pour que nous en publions des extraits sur notre site internet, dans une rubrique "correspondances" à inaugurer ?

(A suivre)

Cordialement,

François

(1) Enfoques, Entre Rios 1039 - CP 1080, Buenos Aires - cepros@infovia.com.ar

(2) http://www.cordobanexo.com.ar

(3) http://personal3.iddeo.es/arridi/presentacion.htm

(4) Pour connaître les critères d'adhésion : ReseauDiscussion@yahoo.fr