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François Lonchampt
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CORRESPONDANCES

Echanges au sein d'un réseau de discussion
François Lonchampt, 2002


5 janvier 2003

Réponse à « La nature humaine n'est pas un obstacle au communisme :
réponse à François » de Adam

Perspectives pour le développement de ce débat


Comme l'a bien montré Claude Orsoni dans un texte dont je ne partage pas les conclusions mais qui pose un certain nombre de bonnes questions, « les révolutionnaires n'ont pas encore relevé le défi, le plus souvent muet, que leur lancent non pas les maîtres ou les exploiteurs, mais les opprimés et les exploités, par l'aversion que ceux-ci nourrissent très généralement envers leurs projets ». Orsoni voit dans cette résistance « l'intuition de quelques relations essentielles », qu'il serait irresponsable de continuer à traiter par la condescendance, le déni, ou l'administration d'un catéchisme sommaire. A mon avis également, il est plus que temps de prendre au sérieux, par exemple, les objections à nos conceptions qui sont tirées d'une supposée nature humaine incompatible avec l'idéal communiste ; c'est le point de vue que j'exprimai dans mes précédentes interventions.
Conformément à cette déplorable affectation de supériorité qui caractérise trop souvent l'ultra-gauche, et plutôt que de répondre à mes arguments, Adam préfère répondre à ce à quoi il a l'habitude de répondre, en déformant et simplifiant radicalement mes propos, c'est-à-dire qu'il préfère le monologue au débat. C'est certainement plus commode, mais c'est assez désagréable pour l'interlocuteur, et assez vain.

Comme Jacques Wajnstejn, je suis persuadé qu'il existe une nature humaine, avec ses invariants ; mais aussi que l'homme est perfectible, et cette croyance est à la racine de mon engagement politique. L'homme change le monde, même s'il le change dans l'inconscience, la confusion et la fureur. Il évolue, ses enfants évoluent, grandissent et se forment dans ce monde transformé, donc l'homme se change lui-même (sous réserve des invariants évoqués plus haut), et le communisme peut être considéré comme la récupération d'une capacité humaine à modifier consciemment et intelligemment le monde, à maîtriser dans une certaine mesure son évolution en tant qu'espèce. Dans le communisme, il ne s'agit pas pour l'homme de s'adapter à un nouvel environnement, comme le capitalisme le lui demande tous les jours, jusqu'à l'absurde, les citations d'Alexandre Allard n'ont donc aucune pertinence dans ce débat.. Cette confusion nous permet de mieux cerner un des motifs de la méfiance ou de l'aversion populaire vis-à-vis des idées des révolutionnaires : ceux-ci sont perçus bien souvent comme les bourgeois, c'est-à-dire comme des manipulateurs et des hommes de pouvoir qui projettent de tout bouleverser sans tenir aucun compte des attachements et des compromis qu'on doit faire avec la réalité (quand on ne vit pas dans un monde parallèle), et qui demandent au peuple de s'adapter et de subir.
Renoncer à la perfectibilité de l'homme, à son amélioration, équivaut à renoncer à toute perspective révolutionnaire. Et même si d'autres voies peuvent être explorées, même si la révolution sociale peut être précédée ou préparée par des phénomènes d'une autre nature, même si, du point de vue de l'amélioration du genre humain, les voies de la religion, par exemple, ont obtenu des résultats qui sont loin d'être négligeables, c'est bien la question sociale telle qu'elle a été posée au XIXème siècle qui reste toujours dramatiquement en suspens. Le monde est toujours le produit de la contrainte, de la séparation et de l'inconscience, et toutes les décisions qu'on prend aujourd'hui dans tous les domaines de la vie sociale sont surdéterminées par la nécessité de gérer les conséquences cumulatives de l'écrasement du mouvement ouvrier, qui reste à ce jour la seule tentative d'envergure pour humaniser la nature de l'homme. Il n'y a rien d'intelligible dans l'évolution de la société contemporaine si l'on ne repart pas de ce point de départ. N'importe laquelle des questions de société renvoie à la question non résolue, à l'échec du prolétariat et aux conditions dans lesquelles ce monde est produit matériellement. C'est ce qui fait le caractère central de la question ouvrière, à laquelle on ne peut y changer quoique ce soit, aujourd'hui encore moins qu'hier, sans remettre en question toute cette société. Ces points ne rencontreront sans doute peu d'opposition dans le réseau.
Mais s'il n'y a pas plus de deux projets de société, celui de la bourgeoisie qui demande aux ouvriers de produire ce monde en admettant une fois pour toutes que c'est le leur, et qu'il n'y en a pas d'autre possible, d'un côté, et le nôtre (le projet d'une société sans classe et sans injustice, d'une société de producteurs libres et égaux), le nôtre est devenu inaudible, parce qu'il a vieilli, parce qu'il est encombré de naïvetés « rousseauistes » dont les exposés d'Adam nous donne un bon échantillon, ainsi que de relents millénaristes, et sans doute aussi parce qu'il s'est confondu avec la vision bourgeoise du développement sans principe des forces productives, du développement sans progrès, comme le soutient justement Jean-Claude Michea (et bien sûr Pasolini). Pour que le projet communiste soit de nouveau compréhensible, il importe au moins de « circonscrire le champ des transformations, les principes de prudence qui les conduiraient, les précautions concrètes qui les préserveraient de toute dérive rationaliste ou messianique » (Orsoni). Ce qui suppose de renoncer à la table rase, malgré l'attachement que l'on peut éprouver pour cette pièce centrale du vieux mythe révolutionnaire, mais également de préciser quelle est la transformation attendue de l'homme lui-même, et donc de réfléchir sur les invariants de la nature humaine. C'est à mon avis tout l'intérêt de cette discussion sur le communisme, si elle parvient à prendre son envol. Mais les révolutionnaires évitent cette discussion. Parce que c'est difficile, bien sûr, mais aussi à cause du vieux fond millénariste, qui laisse espérer des bouleversements inouïs et le paradis sur terre, des fantasmes scientistes (création d'un homme entièrement nouveau, plus grand, plus fort, selon la célèbre formule de Trotsky, le citoyen moyen dans la société communiste sera au moins l'équivalent de Nietzsche ou de Mozart, je cite de mémoire), et aussi de la conviction qu'on peut se permettre de remettre toutes les questions gênantes aux lendemains de la révolution.

Je ne pense pas que c'est la nature des hommes d'être « cupide », contrairement à ce que dit Adam, en m'attribuant là encore, à force de simplification outrancière, des propos moralisateurs que je n'ai pas tenus. Je dis qu'on ne fera pas disparaître comme par miracle le goût de la possession et la compulsion à accumuler, que cette compulsion prenne sa source dans le souci de se prémunir contre les risques futurs, dans la jouissance de posséder et de dépenser sans compte, ou dans le goût du pouvoir. Je ne dis même pas que le goût du pouvoir, le désir de s'élever au-dessus des autres sont des composantes irréductibles de la nature humaine, à vrai dire, je n'en sais rien. Je dis simplement que par prudence il faut compter avec, qu'il faut prévoir de quelle manière ces tendances devront être modérées, contrôlées, et réprimées si nécessaires.
Concernant la soi-disant abondance communiste, vieux fantasme, il n'y a aucun argument qui tienne dans l'exposé d'Adam, qui est orienté entièrement par l'illusion rassurante que la perspective d'une révolution communiste pourrait se révéler économiquement attrayante, et donc séduisante pour l'homo-oeconomicus, c'est-à-dire pour l'homme tel qu'il est, avec ses aspirations, ses désirs, ses besoins tels qu'ils sont façonnés par le capital pour le maintenir en esclavage. On fait alors comme si l'homme était devenu effectivement ce calculateur rationnel que le capitalisme s'emploie à créer, et on essaye de le convaincre comme si on lui vendait un produit, en terme de coût et d'avantage. Comme si les communards s'étaient battus jusqu'à la dernière cartouche, et alors même qu'il n'y avait plus aucune chance de vaincre, uniquement pour améliorer leur condition matérielle. L'homme est perfectible, et son émancipation des chaînes du profit devient pratiquement une question de vie ou de mort, compte tenu des problèmes et des dangers qui sont la conséquence du développement des forces productives et de la croissance démographique. Mais les idées communistes supposent, pour être prises au sérieux, que les exploités rompent avec leur fatalisme et renouent avec un certain idéalisme, cet idéalisme qu'il est facile de voir à l'œuvre dans toutes les époques de révolution, à moins de lire l'histoire avec les lunettes encrassées du matérialisme le plus vulgaire.
Le communisme peut correspondre aux aspirations de prolétaires décidés à se battre, décidés à « monter à l'assaut du ciel ». L'histoire nous a donné l'exemple des insurrections de ces prolétaires là. Mais à la critique que me fait J.W., de ne pas envisager les individus trouvant leurs liens « dans un mouvement qui fait monter l'intensité de la tension qui les relient à la communauté humaine », je voudrai répondre qu'on s'est trop contenté dans nos milieux de phrases creuses de ce genre, et qui, à mon humble avis, n'ont pas de sens précis si ce n'est par référence à un contexte particulier (on peut parler de l'idéalisme et de la ferveur des communards ou des libertaires espagnols de 36, mais quid aujourd'hui ?). Et pour avoir trop considéré dans le temps que les problèmes d'une société révolutionnaires n'auraient rien à voir avec ceux auxquels on se coltine aujourd'hui, je préfère tordre résolument la barre dans l'autre sens, et envisager les problèmes du communisme à partir de la nature humaine que je connais aujourd'hui, toute pervertie par le capital, pour dire vite. Ce qui ne veut pas dire que le communisme corresponde, ni puisse correspondre aux aspirations du prolétaire tel qu'il est.
Quant à l'intérêt économique du communisme : Le gaspillage de la guerre disparaîtra certainement, ainsi que celui qui résulte de l'obsolescence planifiée, mais seulement à terme. On continuera dans un premier temps à produire, pour satisfaire les besoins, une masse de produits tels qu'ils ont étés conçus, et il n'est pas sûr que la première urgence en situation de révolution soit de faire carburer les bureaux d'étude. La guerre risque d'être exacerbée dans un premier temps, et il faudra bien la préparer, y consacrer beaucoup de temps, de production et d'énergie. Enfin, une foi la guerre civile à peu près terminée, et les produits les plus courants reconceptualisés, est-ce à dire qu'on réalisera par-là une substantielle économie ? Rien n'est moins sûr. N'oublions pas qu'il ne sera plus possible, dans une société communiste de disposer du travail d'esclave à bon marché travaillant 12 heures par jour, par exemple, sans réclamer grand chose en contrepartie. Ce qui veut dire que des produits qu'il est aujourd'hui facile de se procurer (ils sont bon marché), ne seront plus aussi disponibles. De plus, il ne sera pas forcément possible de faire transiter des matières premières et des métaux rares d'un bout à l'autre de la planète comme on le fait aujourd'hui, sans considération aucune des besoins des pays d'origine ou des pays par lesquels ces matériaux transitent, ni d'ailleurs des besoins de ceux qui effectuent matériellement les opérations de manutention et de transport. Autant dire que les choses vont certainement se compliquer. Le communisme inventera aussi certainement des formes inédites et nouvelles de gaspillage : Gaspillage démocratique, résultant de l'obligation de consulter démocratiquement des assemblées de travailleurs plus ou moins souveraines. Gaspillage spontané, car il est souvent plus agréable de dépenser sur place que de conserver, de faire circuler, ou d'investir, surtout quand il n'y a pas encore d'autorité véritablement constituée pour faire respecter une planification et sa logistique ; gaspillages multiples tenant à la complexité restaurée des relations entre les hommes et les groupes sociaux, sous forme de dons, contre dons, et toutes sortes d'échanges dispendieux qui pourront s'instaurer quand la production et la circulation des biens auront été libérées de la pseudo-rationalité économique. Je ne parle même pas du fameux droit à la paresse, mais le communisme verra certainement une baisse considérable de la productivité, par le renoncement aux excès des méthodes tayloriennes (ce qui ne veut pas dire renoncement à la rationalité) et par le renoncement à la course à la rentabilité qui autorisera un retour à des mœurs plus heureuses (ce qui ne veut pas dire renoncer aux efforts et ne plus se fixer d'objectifs). Et si les hommes ne seront plus occupés à des tâches de commercialisation et de publicité, je suis persuadé que les tâches de répartition, de distribution et de comptabilité suffiront largement à absorber les énergies ainsi libérées. Puis, il y a la nécessité de prendre en compte les impératifs de préservation et de réparation du milieu naturel, qui limitent forcément les procédés et la production elle-même. Et encore faudrait-il calculer le surtravail certainement considérable (impossible à apprécier) rendu nécessaire par le bouleversement de toute l'organisation sociale sur l'ensemble de la planète pendant toute la phase de transition… Et même l'exemple naïf de la consommation d'eau, qui n'a certainement aucune valeur d'exemple dans cette réflexion, dans la mesure où il n'y a effectivement que peu d'intérêt à la stocker ou à en consommer beaucoup plus que ce qu'on a besoin pour sa consommation, pose problème. Car dans certaines régions où l'eau est une denrée rare, et je ne suis pas sûr que la transformation communiste des rapports sociaux suffira à la faire jaillir en abondance, la question se pose quand même, et même avec acuité, la construction d'un barrage est une décision hautement politique. Et pour ce qui est de la nourriture, des vêtements, etc., puisque Adam juge que « en prendre d'avantage serait anormal et sans intérêt », je lui pose déjà la question : Comment traitera-t-on, dans la société communiste, les individus qui se livrent à des agissements anormaux ou sans intérêts ? En résumé, la certitude de la révolution communiste n'exonère pas d'une nécessaire réflexion sur les institutions de pouvoir (et pas seulement sur la meilleure manière de fixer démocratiquement des objectifs, d'assurer la planification de la production et en général des efforts, la logistique et la répartition des richesses, enfin de faire respecter les décisions prises, de décourager et de réprimer certains comportements).
Ceci dit, l'immense incompréhension qui entoure les révolutionnaires n'a pas l'air de détourner Adam de ses certitudes, et ce profond sommeil apparent est emblématique de la prédisposition du théoricien frappé par une révélation qui le place plusieurs toises au-dessus du béotien, du pauvre type victimes de tous les préjugés, du vulgaire, de « l'homme de la rue », auquel il m'assimile (dois-je m'en estimer flatté ?) et en fin de compte de l'ouvrier. Car ce n'est pas un des moindres paradoxes que l'ouvrier généralement hypostasié dans le discours de l'ultra-gauche est en réalité très souvent considéré comme un irresponsable, grâce à la théorie commode de l'aliénation. Curieux mélange de compassion et de condescendance : On excuse tout (pardonnez leur, ils ne savent pas ce qu'ils font, ils sont aliénés), ce qui revient à le créditer d'une totale inconscience, on lui prête aussi toutes les vertus par ailleurs, mais on ne s'abaisse pas à prendre au sérieux ses interrogations et ses préoccupations. Eventuellement, on s'emploiera à le remettre dans le droit chemin à l'aide de quelques arguments d'autorité. En fin de compte il y a chez le théoricien d'ultra-gauche une identification aux prêtres ou aux shamans, puisqu'ils sont intercesseurs avec la vérité et avec l'absolu. On a la une autre clé de la méfiance populaire vis-à-vis du révolutionnaire. Dans tous les cas on bute quand même sur le prolétaire réellement existant, et on ne sait pas quoi en faire, ni quoi lui dire (sauf les rédacteurs d'Echanges, évidemment, qui le trouvent idéal, mais c'est un cas particulier d'aveuglement volontaire, et à mon avis, il s'agit du même sentiment de supériorité absolue par rapport à la masse).

En résumé, quel monde voulons-nous ? Le champ de cette discussion est immense, et n'appelle pas forcément de réponses univoques. Celle-ci devra inclure une réflexion sur l'éducation, ainsi que sur les relations entre les sexes, qui sont à mon avis des questions cruciales. Il est grand temps, par exemple, de dénoncer les féministes de toutes nuances, bourgeoises ou « radicales », qui ont contribué à l'anéantissement de tout point de vue à partir duquel il soit possible de porter un jugement historique sur la société, accompagnant et justifiant une attaque sans précédent contre la classe ouvrière, et qui contribuent par leurs intrigues lobyistes, leur avidité de pouvoir ou leur rage vindicative, à entretenir et à aggraver la situation inextricable que nous connaissons aujourd'hui sur le plan des rapports affectifs. Mais au delà, il faudrait faire d'urgence la critique de la femme, de son pouvoir, des accommodements qu'elle a trouvés avec le monde, comme on a fait la critique de l'homme en d'autres temps.
Voilà donc de bonnes polémiques en perspective, dans la courtoisie et le respect réciproque qui doivent présider aux relations entre révolutionnaires, ou ne serait-ce qu'entre individus qui sont engagés dans une recherche commune.

Bonne année à tous,

François Lonchampt



20 juin 2002

L'histoire de ma collaboration à la tribune libre de L'Humanité est la suivante : J'ai écrit un article qui est paru dans "Lignes" en février 2002 en réponse à une enquête lancée par la rédaction de cette revue, et j'ai accepté, après mûre réflexion, que celui-ci soit reproduit, avec d'autres, dans l'Humanité. Alain Tizon, qui était également sollicité, a lui refusé. Par la suite, j'ai proposé une autre tribune libre qui a été publiée, (…) (qu'on peut trouver sur notre site dont les coordonnées sont jointes à tous mes mails) et une troisième (…). Je me suis évidemment posé la question du compromis que cela représentait J'ai choisi de passer outre car j'en suis venu à penser qu'il ne sert à rien aujourd'hui d'avoir des positions justes si on ne se donne pas les moyens de les communiquer. Je pense que les événements vont se précipiter (nous n'avons pas tout le temps devant nous), et qu'il y a actuellement une recherche de "sens" et une usure de toutes les idéologies jusque là régnantes qui ménage une véritable opportunité pour faire connaître nos positions et nos idées. Dans cette optique, un minimum de stratégie est nécessaire. Il s'agissait donc de faire connaître des idées, de faire connaître le livre écrit avec Alain Tizon, dont la promotion avait été faible, et également de me faire peu à peu connaître, en vue de continuer à publier par d'autres moyens.

L'Humanité a été l'organe du stalinisme, elle ne l'a pas toujours été. Ca a été aussi le journal de Jaurès qui n'était pas un criminel sanglant, quoiqu'on pense de ses positions de l'époque. Elle a aussi compté Monatte et Chambelland parmi ses rédacteurs, et d'autres de même qualité, même si c'est pendant peu de temps. Je n'ignore évidemment pas que les rédacteurs de ce journal, à une époque, se sont lavé les mains dans le sang du prolétariat. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il y a un avant et un après stalinisme, le mur de Berlin est tombé, au cas où certains ne s'en seraient pas rendu compte. Les journalistes et la rédaction qui sont en poste aujourd'hui n'y étaient pas aux heures les plus sombres. Faut-il les fusiller à la place de ceux qui les ont précédé ? Est-ce plus criminel d'avoir défendu l'URSS dans les années 70 que d'avoir présenté la crise économique comme une chance pour le peuple français quand on procédait aux grandes restructurations ? Ces gens là, au moins, ont fait leur autocritique, plutôt deux fois qu'une, ce qui n'est pas le cas de leurs collègues de Libération, et il ne se passe pas un jour sans qu'ils proclament le caractère criminel du stalinisme. Cela ne les rends pas révolutionnaires, évidemment, ni intelligents, ni forcément sympathiques, mais je ne vois pas ce qu'on peut leur demander de plus. Aujourd'hui l'Humanité n'est pas un journal stalinien, c'est un journal hétéroclite et confusionniste qui ouvre ses colonnes à presque n'importe qui, trotskystes entre autres, et qui tire à 70 ou 80 000 exemplaires. Il est lu par des membres et des anciens membres du PC qui ne sont pas tous des staliniens, loin s'en faut, et dont le désarroi actuel est évidemment propice à des remises en question ; d'où l'intérêt de s'adresser particulièrement à eux. Et il est lu un peu au delà, ainsi qu'à l'étranger. C'est un bon moyen de faire connaître mes positions, au delà des petits cercles libertaires ou ultra-gauchistes. C'est donc un moyen de combattre, qui ne convient évidemment pas à ceux qui cultivent la pureté et la confidentialité. Au fait, avec qui allons nous la faire cette révolution ? Avec des prolétaires qui n'auront jamais été communistes, jamais trotskystes ? Avec des prolétaires qui ont toujours été gaullistes ?

(…)

Qualifier les communistes (entre guillemets) actuels de "pires ennemis du mouvement social" est tout simplement ridicule, et ne mérite pas vraiment de discussion. A mon avis, l'antistalinisme de X n'a plus grand chose à voir avec le mouvement ouvrier. En fait, il ne s'agit même pas d'antistalinisme, car le stalinisme, à proprement parler, a presque disparu, il ne subsiste que dans des groupuscules. Il s'agit d'une haine inextinguible du PCF, une haine maladive que j'ai déjà rencontrée dans l'ultra-gauche, chez Pierre Guillaume, par exemple, ou chez certains situs, les uns et les autres n'étant pas parmi ceux qui ont spécialement souffert de la contre révolution stalinienne, ni dans leur chair ni par la disparition de camarades proches. Elle m'a toujours parue factice, artificieuse, peu sincère, cette haine, elle a d'autres causes et des ressorts plus psychologiques que politiques qu'il faudrait mettre à jour. Car les même qui croient voir le diable quand ils voient un communiste (entre guillemets) discutent le coup tout tranquillement avec un collègue de travail ou leur beau frère apolitique, c'est-à-dire de droite, ou ouvertement de droite, sans que ça leur pose de problème.

De plus, dans cette haine qui, rappelons le, ne vise pas les véritables staliniens mais n'importe quels membres du PC, j'y vois une volonté exterminatrice qui peut se traduire dans des actes dans d'autres circonstances. Alors soyons clair, encore une fois : en cas de guerre civile, ou en d'autres occasions, je défendrai des individus qui seraient agressés physiquement pour la seule raison qu'ils sont ou ont été membres du PC (ou autre exemple, chrétiens), de même que je défendrai qui que ce soit contre une agression qui serai motivée par la couleur de sa peau ou d'autres caractéristiques physiques. Cette révolution haineuse et exterminatrice (à laquelle j'adhérais totalement dans mes années situes) n'est plus la mienne. Elle n'est pas non plus populaire.

Sur la question de la persistance de la condition prolétarienne, il s'agit d'une idée de Raoul Brémont ("A tous les producteurs, contre le fatalisme de la gauche communiste, contre l'opportunisme de la Ligue des Communistes internationalistes") (…). Bremond écrivait en 1938 : " La somme des revendications prolétariennes, en quelque sorte l'unification "objective" des consciences de soi lésées, des aspirations "manifestatives" des prolétaires conscients, la conscience prolétarienne, comme on dira vulgairement, dressée chez certains groupements, mieux à même de par les circonstances individuelles, d'effectuer cette sorte de compilation érudite ou d'exprimer dans toute sa force cette volonté, d'en tracer les objectifs, d'en nier les limites,… est tout ce qui nous reste de la philosophie, autrement dit la critique matérialiste. Celle-ci sera forcément éternelle, car la Société présentera toujours quelques défectuosités sur laquelle devra s'exercer la critique de l'esprit humain ; ce sont les défectuosités de la société qui donnent naissance à cet esprit de critique. Mais le "parti du prolétariat", comme disent les "marxistes", n'est pas une conscience séparée de son corps…" Petite brochure où l'on parle donc aussi du parti, au sens de Marx, et peut-être de Pannekoek. En tout cas, je persiste à penser qu'il y a là une véritable et salutaire intuition, à méditer et à discuter.

(…)

Cordialement,

François Lonchampt


21 juin 2002

1. Concernant mes ambitions littéraires

Dans le message précédent (ci-dessus), j'ai indiqué que mon intention, en publiant dans Lignes et dans la tribune libre de L'Humanité, était "de faire connaître des idées, de faire connaître le livre écrit avec Alain Tizon, dont la promotion avait été faible, et également de me faire peu à peu connaître, en vue de continuer à publier par d'autres moyens". (…). Quand je dis "faire connaître des idées", il ne s'agit pas en l'occurrence de propos sur le roman moderne ou sur l'éthique de la responsabilité. Le livre, quoi qu'on pense du contenu, n'est pas une oeuvre littéraire. Et mon talent d'écriture se limite à la correspondance et à la rédaction d'articles traitant de sujets politiques et sociaux. Je ne désespère pas d'arriver un jour à produire autre chose, mais ce que j'envisage de "publier par d'autres moyens" aujourd'hui, ce n'est encore rien d'autre que des thèses politiques. Les idées que je veux faire connaître se rapportent donc directement ou indirectement aux questions qui me tiennent à cœur : Comment relever le défi, le plus souvent muet, que lancent aux révolutionnaires, non pas les maîtres ou les exploiteurs, mais les opprimés et les exploités, par l'aversion que ceux-ci nourrissent très généralement envers leurs projets ? Que reste-t-il d'humainement valable dans l'espoir humain qu'avec Liebknecht et Luxembourg nous avions placé dans la Révolution Prolétarienne, quelle confiance peuvent encore conserver les ouvriers dans la responsabilité collective de leur propre classe (Prudhommeaux) ? Comment remettre en cause une société qui s'est profondément transformée (mais sans changer fondamentalement) pour absorber l'impact des mouvements ouvriers et révolutionnaires, et qu'on ne peut donc plus contester par les moyens qui ont échoués entre 1918 et 1936 ? Comment mener cette société au seuil de cette remise en cause fondamentale qui préside à la naissance d'une nouvelle utopie ? Et en fin de compte, comment contribuer à la reconstitution d'un parti révolutionnaire (au sens de Marx) ? Ces questions peuvent te paraître vaines, déplacées, prétentieuses, mal posées, ou je ne sais quoi, mais il ne s'agit pas de littérature à proprement parler. Mais au fait, quel mal y-aurait-il à poursuivre une carrière littéraire ? Ceci est-il indigne d'un vrai révolutionnaire (…) ? Y-a-t-il là une frontière de classe inédite, qui renverrait Perret, Breton, Istrati, et bien d'autres dans le camp des ennemis du prolétariat ? (…)

2. Concernant mon analyse du PCF

(…) Sur le parti lui même, je n'ai rien à retirer de ce que j'ai écrit précédemment. S'agit-il d'un "parti de la bourgeoisie", comme tu l'affirmes ? Sociologiquement, pas vraiment. Oui, en tous cas, parce qu'il a participé avec les socialistes à un gouvernement qui a fait la politique de la bourgeoisie. Pour cette raison, donc, mais pas parce que ce serait une organisation bourgeoise par nature ou ontologiquement et intrinsèquement perverse, comme on le pense parfois à l'ultra-gauche, où l'on raisonne comme si "bourgeois" ou "ouvrier" étaient des attributs ontologiques (cf la discussion sur le caractère "par nature" contre révolutionnaire, par exemple des syndicats). Le PC a conduit la classe ouvrière à la défaite partout où il a eu une influence, chaque fois que la classe ouvrière s'est placée sur un terrain révolutionnaire en lui maintenant sa confiance. Depuis la guerre, et à partir du moment où la satisfaction des revendications matérielles commence à alimenter les cycles de développement basés sur la consommation de masse de produits manufacturés, il lui a permis d'obtenir de grands succès en tant que classe revendiquant sa place dans le mode de production capitaliste, et d'améliorer très sensiblement sa condition matérielle, en tout cas dans des proportions inconnues jusqu'alors. Il y a donc un vote ouvrier pour le PC (ou pour le PS dans certaines régions) qui est une composante ou une expression de la lutte de classe, dans la mesure où nombre d'ouvriers s'en sont servi pour créer un rapport de force plus favorable à leurs revendications, alors que la plupart d'entre eux n'auraient échangé pour rien au monde leur situation contre celle de leurs homologues soviétiques et ne se faisaient pas d'illusions sur les dirigeants. Il s'agit d'un aspect de la lutte de classe, ce n'est pas révolutionnaire en soi puisqu'il s'agit d'abord, et en général seulement, de défendre la position de la classe ouvrière dans le capital. Mais la lutte de classe, ni la classe ouvrière ne sont "par nature" révolutionnaire, la classe ouvrière lutte pour défendre et améliorer sa position au sein du capital, et à certains moments pour transformer fondamentalement les rapports sociaux, quand cette amélioration devient impossible. Et nul n'aurait pu prédire que le capitalisme aiguillonné par les luttes de classes allait évoluer à un tel point que ces luttes puissent apparaître comme un élément fonctionnel du développement, et la classe ouvrière comme "intégrée". En tout état de cause, et pour le dire vite, les ouvriers ont aussi les partis qu'ils méritent, tout ceci restant bien sûr à préciser. La question est bien trop centrale pour être traitée en quelques lignes, c'est d'ailleurs un des thèmes (avec la définition de la société communiste) que je souhaitais approfondir (…). Ce vote PC s'est maintenant effondré, et le PC a prouvé son inutilité en participant aux gouvernements de gauche en situation dominée. Les dirigeants du PC n'ont d'ailleurs pas manqué d'utiliser cyniquement l'argument pour rassembler leurs troupes électorales, dans le registre "votez PC pour faire pression sur la gauche, pour créer un rapport de force favorable aux luttes", mais c'était fini. L'affirmation de la classe ouvrière en tant que classe de travailleurs productifs n'est plus à l'ordre du jour, la mise en valeur du capital semble aujourd'hui se déconnecter de l'augmentation de la production matérielle, la pauvreté progresse et la bourgeoisie est repassée à l'offensive depuis les années 70 sur tous les terrains. Elle a anéanti la plupart des bastions syndicaux et infligé une terrible défaite à la classe ouvrière, sur tous les plans, en entraînant au passage la débâcle d'un parti dont elle n'a plus la moindre utilité. Il serait d'ailleurs préférable que celui-ci disparaisse complètement pour que quelque chose de nouveau apparaisse. Symboliquement, ce serait l'achèvement d'un cycle.

(…) Mon analyse est peut-être sommaire, et ce n'est sans doute pas celle de la Gauche Communiste ou ultra-gauche. (…)

3. Sur quelques "frontières de classe"

En attendant, on peut (…) se revendiquer de tous les combats du prolétariat, donner des leçons de radicalité et se déclarer "profondément en accord" avec le "texte excellent" de Wajnstejn, pour qui "le prolétariat - à l'origine classe négative du rapport social capitaliste devant devenir classe de sa négation, c'est-à-dire sujet de la révolution - [a] été largement englobé dans le système de reproduction de toute la société", pour qui "conducteurs d'engins ou routiers, livreurs, manutentionnaires du commerce, évoluent souvent dans un environnement plus artisanal qu'industriel dans lequel les antagonismes sont gommés par la difficulté qu'il y a à démêler les différences d'intérêts", pour qui enfin, "s'il reste encore des ouvriers, la classe ouvrière a disparu". Entendons nous, je ne considère pas que ces opinions soient scandaleuses en soit (elles dénotent quand même un aveuglement exceptionnel, au moins pour ce qui concerne la deuxième proposition, car si Wajnstejn et Everhard/Sabatier ne savent pas "démêler les différences d'intérêt" entre "conducteurs d'engins ou routiers, livreurs, manutentionnaires du commerce" d'un côté, et leurs employeurs de l'autre, nul doute que ces catégories qui comptent parmi les plus exploitées savent très bien ce qui en retourne). Malgré les qualités pédagogiques de ce texte, je suis en désaccord complet avec les thèses énoncées, persistant à penser qu'il n'y a pas de révolution qui tienne sans référence explicite aux combats de la classe ouvrière, passés, présents, et avenir (ce point ne devrait-il pas figurer dans les critères de votre réseau ?). La classe ouvrière est toujours là, même si elle est défaite, même si elle en prends, comme on dit vulgairement, plein la gueule. L'histoire tranchera. (…)

4. La haine

Concernant mon appréciation sur la haine (anti PC) (…) c'est précisément dans les mail de X (…) que j'ai rencontré cette qualité de haine si particulière, une qualité de haine que j'avais bien connue par ailleurs, sur laquelle j'ai un peu réfléchi, et dont je pense qu'elle possède des ressorts plus psychologiques que politiques (je n'avais pas dit "pathologique", mais pourquoi pas). A mon avis cette haine, ainsi que la résistance à reconnaître la quasi-disparition du stalinisme tient précisément au fait que l'opposition viscérale à ce parti a servi de seule référence identitaire à certains camarades, qui ne vivent et ne respirent que dans la détestation de leur ennemi préféré. Enlevez leur ce repoussoir et ils se désagrègent, car ils ne pensent ni ne produisent rien par eux-même, se bornant en général à rabâcher un catéchisme. Ceci peut être travesti de nobles sentiments, comme la fidélité absolue aux martyrs du stalinisme, et je crois que cette fidélité est sincère. Mais ce n'est pas la seule raison de cette fureur. Au delà de la psychologie, le problème est bien, comme je le disais dans mon courrier précédent, que ce niveau de haine doit porter logiquement, dans une situation révolutionnaire (ou seulement dans une situation de troubles), à coller au mur les objets détestés, c'est-à-dire, si je ne me trompe pas, tous les militants du PC. Ce qui est inacceptable.

(…) le milieu qui se dit révolutionnaire à gauche de l'extrême gauche, si j'en juge par ce que j'en ai connu, a été infesté profondément par un goût de l'invective, de l'exclusion et du coup de poing dans la gueule qui n'a pas peu contribué (même si ce n'est pas la seule cause) à son impopularité et à sa marginalisation, à une époque (années 70) où ses chances de s'emparer des masses, comme on disait, n'étaient pas mince. Les milieux pro-situs dont je participais donnaient l'exemple, une bonne fraction de l'ultra-gauche n'était pas en reste. Il faut évidemment rompre avec ça.

5. Sur le replis confidentiel et l'esprit de chapelle, et sur un procédé déloyal

De même quand j'ai évoqué "ceux qui cultivent la pureté et la confidentialité", (…) je pense effectivement, comme Guillaume, si tu veux (mais je ne suis pas au service de la même cause, faut-il le préciser ?), et comme bien d'autres, qu'il est souhaitable, ou préférable, d'avoir un minimum de stratégie par rapport aux médias. Je n'ai aucun mépris pour ceux qui font un choix différent, et qui préfèrent s'en tenir à des publications confidentielles (j'en compte même certains parmi mes amis), ni pour les "petits cercles libertaires ou ultra-gauchistes". Je n'ai d'ailleurs pas de mépris à priori pour ceux qui ont fait d'autres choix que les miens, et je ne prétends pas (plus) détenir la position juste en tout. Je pense effectivement que l'ultra-gauche a généralement beaucoup pêché par sectarisme et par la recherche pathétique de cette "position juste" qui délimite le camp des justes (…)

Sincèrement,

François Lonchampt


23 Juin 2002

(…)

Pour ma part, je n'ai pas une "vision positive" du PC. Dés sa création, celui-ci a soutenu les dirigeants bolcheviks qui écrasaient Cronstadt et détruisaient les formes originales de la démocratie soviétique. A partir de 1924, avec la bolchevisation, il est devenu un instrument aveugle aux mains de l'Internationale Communiste. Quand Staline a pris le pouvoir dans la prétendue Union soviétique, il est devenu logiquement un instrument aveugle de la politique criminelle des maîtres de Moscou, qui ont pourchassé les révolutionnaires dans le monde entier et contribué partout à l'écrasement des fractions révolutionnaires du prolétariat, comme je le disais dans ma lettre précédente. Toute espèce de compromission avec ce parti était donc effectivement condamnable. Breton a été clair sur ce sujet à partir d'un certain moment, en commençant d'ailleurs par revendiquer, comme Monatte, le droit et la dignité d'être communiste en dehors du Parti. Mais je ne trouve pas trace de haine dans ses propos.

Concernant Aragon et Eluard, ils n'ont pas été exclus pour avoir tenté une carrière littéraire, et ils ne se sont pas seulement "compromis avec le PC". Nombre d'intellectuels se sont "compromis avec le PC", jouant les compagnons de route à un moment ou à un autre, signant des pétitions ou se prêtant aux manœuvres d'un Münzenberg ou d'autre spécialistes de la manipulation. En ce qui concerne Eluard, et surtout Aragon (qui a écrit un hymne au GPU et soutenu tous les mensonges et toutes les calomnies de ses maîtres) c'étaient des membres très éminents du parti, des poètes officiels, des instruments de la politique stalinienne, et ils se sont donc rendus complices des crimes commis par le Komintern. JC ne goûte pas les nuances, mais elles ont parfois leur importance.

Instrument presque aveugle de la politique stalinienne, fossoyeur des révolution prolétariennes, le PC a cependant contribué à la promotion de la classe ouvrière (et plus spécialement, de certains secteurs de la classe ouvrière) en tant que classe de producteurs, dans le cadre des rapports de production capitalistes. Car à partir de 1945 (en fait, déjà avant), en France et dans la plupart des pays développés, la grande majorité de la classe ouvrière poursuit avec détermination la lutte pour l'amélioration de sa condition matérielle dans le capital. Je ne pense pas que "le PC s'est tout le temps opposé, au nom des intérêts généraux du capital, aux revendications des salariés" comme le soutient Y. C'est le genre de dogme qu'on affectionne, confortable, mais ce n'est pas la réalité (par parenthèse, je suis abonné à "Échanges" que je lis attentivement pour la chronique des luttes. J'admire la constance, l'acharnement et la capacité de travail de ses rédacteurs. Mais à part l'information, "Échanges" n'apporte pas grand chose, se bornant à répéter sempiternellement les mêmes dogmes usés, que l'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-même - belle et juste formule, mais à laquelle on ne sait plus donner aucun contenu -, que le parti ce n'est pas bien, que la forme définitive de l'émancipation ouvrière a été découverte en 1920 et qu'on ne saurait rien inventer de mieux désormais, que le triomphe de la bourgeoisie prouve la vigueur extraordinaire de la lutte de classe, et que les échecs qui s'accumulent depuis 30 ans annoncent les victoires de demain. Mais tout cela n'est pas à la hauteur des défis que les transformations du capitalisme et la narcose de la classe ouvrière posent aux révolutionnaires aujourd'hui). Comme on peut le lire dans la présentation de PI (sur son site), et comme on l'admet très généralement, "le mode de production capitaliste, dans sa phase ascendante, a développé les forces productives de façon considérables. Le prolétariat pouvait y arracher, par ses luttes, des améliorations durables de ses conditions d'existence et les organisations de masse comme les partis ouvriers ou les syndicats représentaient cette possibilité de lutte au sein du système." Les syndicats, le PCF, parfois la SFIO, ont soutenu, globalement, les luttes ouvrières, pour peu qu'elles restent dans le champ qui leur était assigné, et ils s'en sont également servi pour leur promotion en tant que caste privilégiée représentative des intérêts ouvriers. Pour justifier leur mandat et leurs privilèges, ils devaient obtenir des résultats concrets. Pour mettre en forme les compromis qu'ils estimaient nécessaires, et au nom des intérêts généraux du capital, effectivement - l'intérêt bien compris du capital, pour les staliniens, c'est aussi l'intérêt de la classe ouvrière qui doit à terme prendre la direction du développement capitaliste -, ils ont veillé à interdire tout débordement, s'ils ne les contrôlaient pas pour en jouer. La base matérielle de cette politique, c'est le fordisme, le salaire comme investissement, les cycles de développement fondés sur l'équipement des ménages et la production de biens manufacturés, comme je l'ai déjà dit dans cette correspondance (après d'autres, ce ne sont pas des idées originales), et la prédominance de la plus-value relative, avec toutes ses conséquences, qui vont s'avérer destructrices, pas seulement pour le substrat biologique de l'accumulation capitaliste (la biosphère, la terre), mais aussi pour la classe ouvrière elle-même qui sera défaite culturellement. En attendant, la classe ouvrière et les luttes de classe poussent au développement des forces productives et la référence (maintenue chez les staliniens et chez les socialistes) à une issue révolutionnaire ne fonctionne plus que comme un mythe sans consistance. Seule subsiste "l'illusion de pouvoir diriger les forces productives dans une autre voie que celle qu'elles avaient empruntée", comme l'a écrit justement Jacques Camatte. Objectivement, donc, il y a complicité de larges fractions de la classe ouvrière avec les dirigeants staliniens, des ouvriers qui n'ignorent pas les cassages de gueules des militants trotskystes, libertaires et ultra-gauchistes à la sortie des usines, qui ne voulaient rien savoir des camps en Sibérie, qui observent en 68, les étudiants massés à la porte des usines, comme à Billancourt, sans leur ouvrir la porte, etc. C'est en ce sens que j'ai écrit (citation complète) "en tout état de cause, et pour le dire vite, les ouvriers ont aussi les partis qu'ils méritent, tout ceci restant bien sûr à préciser". Car je trouve qu'il y a beaucoup de paternalisme, et beaucoup d'intention politicarde et manipulatrice dans la sempiternelle invocation de "l'aliénation" ou de l'ignorance des ouvriers et des classes populaires (là est le mépris). Et qu'il faudrait aussi en finir avec ça, comme avec beaucoup d'autres manies qui nous encombrent, fussent-elles héritées des courant les plus respectables du mouvement ouvrier.

Maintenant, le PC aujourd'hui. Ce n'est plus l'instrument de l'IC, qui a disparu, ni du gouvernement russe, qui l'a répudié et lui a coupé les vivres. Est-ce un instrument de la Bourgeoisie ? Même pas, car la bourgeoisie n'en a pas l'usage. Je pense que c'est essentiellement un instrument aux mains de ses dirigeants, à tous les niveaux, dans l'appareil, au parlement et dans les mairies, qui sont surtout préoccupés de leur gagne pain. Et il y a une masse de militants ou d'ex-militants, ainsi que quelques intellectuels, qui sont désemparés et écœurés. Y me dit les avoir rencontré dans des luttes concrètes, mais il ne comprend pas que je cherche à m'adresser à eux, surtout dans un moment où la déconfiture de leurs dirigeants et de leur idéologie doit les rendre un minimum réceptifs à d'autres sons de cloche. Je soutiendrai également, pour ma part, que le programme du PC c'est un programme capitaliste, qui ne vise rien d'autre qu'à une bonne gestion du capital. En rajoutant que le capital n'en a cure. "Dépasser le capitalisme", "mettre l'humain au cœur des choix politiques", la "rupture avec la logique du capitalisme", la "demande sociale", et tout ce qui s'apparente, ça ne vise effectivement qu'à habiller joliment le renoncement à l'idée de révolution et à toute perspective communiste. (…)

Je suis moi-même en faveur de la constitution, à terme, d'un parti révolutionnaire, sous des formes qui restent à inventer, et je pense qu'un réseau ou un groupe de discussion, si possible international peut contribuer à cette formation. Je suis aussi prêt à dialoguer avec des camarades ayant des positions très différentes des miennes, sous réserve de ne pas perdre mon temps en arguties. Mais s'il s'agissait d'agir et de produire en commun, comme un groupe organisé, il faudrait des bases communes plus précises que celles que vous vous êtes donné. Pour moi, accord sur la référence aux combats passés , mais aussi actuels et futurs de la classe ouvrière, accord sur le rejet du multiculturalisme post-moderne (et en général de la gauche "sociétale"), accord sur la nécessaire remise en question (ce qui ne veut pas dire liquidation) de la plupart des certitudes que nous avons héritées du mouvement ouvrier, qui, comme disait l'IS "a échoué, non sans obtenir d'immenses résultats, mais qui n'étaient pas le but visé" (Prudhommeaux a écrit "Arrachement à la domination d'une unique pensée sous ses aspects circulaires, arrachement aux routines de pensée héritées du passé, devenues, faute de travail nouveau, variantes de cette même unique pensée"), abandon de la sempiternelle référence au niveau des forces productives et en général du déterminisme (ce qui ne veut pas dire subjectivisme débridé mais réflexion sur le domaine de validité du marxisme). Surcesbases, il doit être possible de mener une réflexion approfondie sur le processus révolutionnaire lui même (la violence doit-elle rester l'instrument privilégié de la transformation sociale, l'obstacle des armements modernes et des technologies dangereuses, réfutation de l'hypothèse de l'épuisement du phénomène révolutionnaire, formulation de nouvelles hypothèses sur le processus lui même…), de remettre à l'honneur (contre l'avis de Marx) une recherche de type utopiste, de prendre en compte et de réfuter les arguments que le bon sens populaire nous oppose, fondés sur une invariance de la nature humaine prétendument incompatible avec l'idéal communiste, et au delà, de prendre au sérieux l'indifférence et le rejet généralement manifestés par les classes populaires pour notre projet (ainsi que les raisons de l'attachement à l'ordre établi) ; enfin, comme avait tenté de le faire l'Internationale Situationniste, d'actualiser la critique du capitalisme moderne qui étend son emprise sur tous les aspects de la vie (nécessaire critique des mœurs, de la vie quotidienne). Il faudrait aussi envisager l'hypothèse d'une mutation anthropologique (création de l'homme nouveau par le capital, anthropomorphose du capital), d'une humanité tendanciellement inapte à la liberté en tant qu'hypothèse/limite. Évidemment, il s'agit de question d'une certaine manière "dangereuses", car l'on s'expose, par l'un ou l'autre côté, à perdre le point de vue unitaire qui permet de garder une perspective révolutionnaire. Certains préférant se raccrocher à leurs certitudes, et ne jamais sortir du cercle de leurs interrogations convenues, et ceux-là réussiront à me prendre en faute car je prétend me risquer sur des terrains où les certitudes ne sont pas de mise. Peu importe. Je suis passé par le doute le plus profond, j'ai déjà été tenté de renoncer à tout, j'ai connu des moments de désespoir, je les ai surmontés. Ma conviction est que le capitalisme mène l'humanité à la catastrophe, qu'il n'est pas réformable, que l'homme sortira du labyrinthe ayant à tâtons retrouve dans la nuit le fil perdu et elle est inébranlable désormais. Je n'ai donc pas peur de me compromettre, dans certaines limites, ni de perdre ma virginité.

Je souhaite que la discussion sur un ou plusieurs de ces thèmes (par exemple, dans le cadre de la réhabilitation d'une pensée utopique, le travail sur la définition du communisme), car je crois à la valeur d'un travail organisé, et d'un cadre. (…)

François


28 juin 2002

(…) Je ne considère pas (…) le PC comme le "principal ennemi du mouvement social". Même en supposant qu'on trouve un sens à cette notion de mouvement social qui est une tarte à la crème de journaliste gauchisant, la proposition me semble tout à fait anachronique, et en deçà même de tout débat. J'ai écrit "le PC a cependant contribué à la promotion de la classe ouvrière (et plus spécialement, de certains secteurs de la classe ouvrière) en tant que classe de producteurs, dans le cadre des rapports de production capitalistes." Et j'ai parlé d'un usage ouvrier du vote PC, ou PS. Appréciation positive du PCF ? Incontestablement, si je n'avais en tête (ou en vue) que l'amélioration du sort matériel de la classe ouvrière dans la société capitaliste. Mais mon point de vue est celui de la liquidation des rapports sociaux capitalistes et de l'abolition du salariat. Qui a lu notre livre ne peut se méprendre la dessus. Et pour défendre la classe ouvrière en tant que classe de producteurs dans le cadre des rapports de production capitaliste (tout en soutenant les intérêts de l'URSS), les Partis communistes ont contribué à la destruction des minorités révolutionnaires, et à faire partout avorter les révolution. J'ai donc écrit également : "Le PC a conduit la classe ouvrière à la défaite partout où il a eu une influence, chaque fois que la classe ouvrière s'est placée sur un terrain révolutionnaire en lui maintenant sa confiance." "Dés sa création, celui-ci a soutenu les dirigeants bolcheviks qui écrasaient Cronstadt et détruisaient les formes originales de la démocratie soviétique. A partir de 1924, avec la bolchevisation, il est devenu un instrument aveugle aux mains de l'Internationale Communiste. Quand Staline a pris le pouvoir dans la prétendue Union soviétique, il est devenu logiquement un instrument aveugle de la politique criminelle des maîtres de Moscou, qui ont pourchassé les révolutionnaires dans le monde entier et contribué partout à l'écrasement des fractions révolutionnaires du prolétariat." C'est suffisamment clair, il n'y a pas d'ambiguïté ni de double langage. Je ne reviendrai pas sur cette question, je n'avais d'ailleurs pas l'intention d'en débattre, et je ne pense pas qu'elle soulève de points théoriques très intéressant. (…)

Je m'adresse aux écœurés du PC, et au delà, à n'importe qui d'autre, pour faire passer quelques idées, qui sont soit des idées personnelles, soit, le plus souvent, qui font partie du patrimoine idéologique de mon parti historique et informel, pas pour dialoguer. Je le fais comme je le fais dans mon syndicat, comme je le fais sur mon lieu de travail, et parfois dans la rue et dans d'autres lieux publics, à l'occasion même dans des réunions publiques. Je ne cherche pas à dialoguer (je ne le refuse pas non plus), je cherche à créer les conditions, à apporter ma petite pierre, dans la mesure de mes moyens, pour qu'un basculement révolutionnaire se produise avec les meilleures chances de succès. A déstabiliser nos adversaires, à ruiner, autant que possible, les certitudes qui confortent l'ordre mouvant qui nous étouffe, à renforcer les dispositions qui nous sont favorables, à distiller d'autres concepts, à imposer une autre vision. C'est ma démarche personnelle, ce n'est pas un modèle, c'est celle que je me suis définie pour rester en accord avec mes idées et faire avancer la cause à laquelle je me suis voué. Ceci en l'absence de possibilité, encore, d'action concertée, en l'absence de parti. Et je n'ai jamais confondu cette action a minima de type pédagogique et propagandiste, pour dire vite, avec les conditions d'existence de la discussion révolutionnaire, dont je sais trop bien quelles difficultés il y a à les construire. Les conditions d'existence de la discussion révolutionnaire sont très difficile à établir, et en l'absence de mouvement social d'importance, je crois qu'elles ne peuvent s'établir que dans des petites minorités. (…)

Sincèrement,

François Lonchampt


7 juillet 2002

(…) Je ne pense pas qu'il y ait un temps pour améliorer le sort de la classe ouvrière au sein du capitalisme, et un temps (aujourd'hui) pour détruire le capitalisme. Je pense que la destruction du capitalisme est à l'ordre du jour, et qu'elle l'était déjà en 1871 et en 1921, par exemple. Effectivement, l'amélioration du sort de la classe ouvrière au sein des rapports de production capitaliste semble être devenue presque impossible aujourd'hui. Seule la résistance à la dégradation des conditions d'existence de la classe ouvrière semble possible. Mais même pour l'organisation de cette résistance, je ne pense pas que le PC soit une bonne chose, car la défense aujourd'hui des conditions d'existence de la classe ouvrière n'a vraiment d'intérêt que si cela permet à une partie de la classe ouvrière de passer sur un terrain révolutionnaire. Je ne pense pas, et je n'ai d'ailleurs pas écrit, que le PC a été, soit ou pourrait être une bonne chose. J'ai écrit, et je pense, que ce parti a œuvré à la promotion de la classe ouvrière au sein des rapports de production capitalistes, en s'appuyant sur la combativité ouvrière, en désamorçant les situations pré révolutionnaires, en empêchant la radicalisation des luttes au delà d'une certaine limite, et en négociant. Mais cela n'en fait pas une bonne chose. Car pour oeuvrer à cette promotion, il a contribué à faire échouer les mouvements révolutionnaires là où il y en avait, et ailleurs à en entraver le développement. Le PC est donc très vite devenu l'ennemi irréconciliable, non pas de la classe ouvrière en soi, car la classe ouvrière n'est pas en soi révolutionnaires, mais des éléments les plus conscients, des éléments révolutionnaires de la classe ouvrière.

La grande difficulté ou peut-être même l'impossibilité pour le capitalisme aujourd'hui de consentir à une amélioration des conditions d'existence de la classe ouvrière, et même probablement son obligation de les dégrader pour maintenir les profits, peut conduire celle-ci à revenir dans quelques pays sur le terrain d'une lutte radicale. Mais c'est une manie des révolutionnaires que de toujours prétendre donner des instructions à leur époque, pour se faire ensuite impitoyablement démentir par le cours des événements (on ne compte pas ceux qui ont affirmé doctement que la crise finale était pour aujourd'hui, à toutes les époques). Pour aujourd'hui, je ne pense pas que le PCF soit "l'ennemi irréconciliable de la classe ouvrière", il n'en a pas les moyens, et c'est lui donner beaucoup trop d'importance. Si la classe ouvrière revient sur le terrain de la révolution, le PCF ne sera plus rien, ou peu de choses. Sa décomposition s'en trouvera probablement accélérée, et ses adhérents ou sympathisants prendront des directions divergentes, voir opposées. Il y a déjà des électeurs Lepénistes, des désespérés et des cyniques ; d'autres deviendront d'actifs contre-révolutionnaires (au PS, par exemple), d'autres encore se rallieront à des partis d'extrême gauche, et à terme certains tourneront du bon côté par fidélité aux idéaux qui ont été trahis par leur parti (ou ancien parti). Il y aura d'abord surtout, je crois, des individus groggy, qui resteront sur la réserve, sans pour autant évoluer d'emblée vers des positions radicales, ou réactionnaires. (…) Il serait effectivement illusoire et erroné de concevoir des espérances trop importantes envers les mouvements anti-mondialisation ou envers la décomposition du PCF, comme le font les gauchistes. Je serai bien sûr satisfait d'amener quelques sympathisants (ou plus probablement quelques déçus) du PCF sur des positions révolutionnaires, mais mon ambition, plus modeste, est d'ébranler certaines de leurs représentations - par exemple sur l'histoire de leur ancien parti - de faire passer quelques idées, de donner à ceux qui sont sincères quelques éléments pour évoluer, d'éviter que d'autres sombrent dans le cynisme ou l'indifférentisme, et de faire en sorte qu'ils soient mieux disposés en cas d'événements de type révolutionnaire (tout en contribuant à démoraliser les vrais staliniens). Pour faire des révolutionnaires, pour que ceux-ci, et d'autres, évoluent vers des positions révolutionnaires, comme dit Z, il faudra bien autre chose que quelques articles de journal. Qu'il s'agissent d'anciens du PCF, des participants des mouvements anti-mondialisation (qu'il est trop simpliste de qualifier abruptement de "contre révolutionnaire"), et de beaucoup d'autres individus dans d'autres situations.

Quoiqu'il en soit, tout cela est très spéculatif car je n'ai pas de représentation très précise sur la manière dont peuvent se dérouler des événements révolutionnaires à partir de maintenant. Cette société s'est réorganisée pour résister et pour absorber l'impact des mouvements révolutionnaires du passé, et je ne crois pas qu'elle puisse être remise en cause par les même moyens, ni que le processus révolutionnaire de demain ressemble beaucoup à ceux qui ont échoués jusque dans les années 70. D'autre part, la révolution à venir ne sera pas faite seulement par des révolutionnaires, même si ceux-ci sont appelés à jouer un rôle non négligeable, elle sera faite par toute sorte de gens dont la plupart, dont l'immense majorité ne se sera jamais considérée comme telle auparavant. Dans toutes les hypothèses, il n'est pas indifférent que certains aient subi notre influence. Cette préoccupation d'agir sur les états d'esprit (quel que soit le niveau des luttes sociales) me semble essentielle, j'essaye de l'assumer à titre individuel, faute de cadre organisé permettant de le faire collectivement. Je suis surpris qu'elle ne rencontre pas plus d'écho. Il semble que l'ultra-gauche mette tous ses espoirs dans un processus de prise de conscience presque automatique (les événements, les luttes, l'histoire faisant que…), que ses théories n'ont qu'à être cultivées en vase clos. Pour X, il s'agit d'entretenir la flamme, pour d'autres, d'actualiser en permanence les mêmes concepts, dont certains sont usés. Ceci a été théorisé d'ailleurs dans un article des "Cahiers du communisme de conseils" expliquant que si les révolutionnaires n'obtenaient aucune audience, leur intervention était inutile, et que s'ils parvenaient à influencer la classe ouvrière ils étaient dans une position léniniste et donc contre-révolutionnaire. Pour ma part, je crois qu'on ne peut éviter la question de la communication de nos thèses et d'une nécessaire stratégie à cet effet (ce qu'on appelait un peu pompeusement dans les années 70 la question de "l'intervention").

Et il serait intéressant de parvenir à une ébauche de définition sur ce que c'est que d'être révolutionnaire aujourd'hui, au delà de "être sur des positions révolutionnaires", ce qui ne saurait évidemment suffire, ainsi que sur le processus lui-même. Je serai intéressé par un travail sur ces thèmes. Une précision encore : en publiant dans la tribune libre de l'Humanité, je m'adresse aux lecteurs de l'Humanité en général, qu'on ne peut pas tous qualifier de sympathisants du PCF. Il y a un certain nombre de lecteurs occasionnels qui achètent ce journal, comme moi, pour la chronique des conflits sociaux ou pour les pages culturelles, ou pour d'autres motifs, qui n'en font pas pour autant des sympathisants du PCF. C'est donc un vecteur pour toucher largement au delà des sympathisants.

Pour le reste (mes idées sur le PCF), on peut se référer à mes précédentes interventions, ou à notre livre, ainsi qu'aux textes de notre site, de préférence à l'extrapolation à partir d'une phrase isolée.

François Lonchampt


1er septembre 2002

(…) Dans le cas des situationnistes, qui est celui que je connais le mieux, ça allait au delà du symbolique, car celui qui, en lien avec son groupe, avait pratiqué dans sa vie les préceptes qui en faisaient un digne représentant de ce qu'on appelait la "radicalité", ayant rompu pratiquement avec toutes ses relations et s'étant rendu totalement insupportable à son entourage habituel, seulement toléré par ses semblables radicaux et "théoriciens", se retrouvait souvent le jour de la rupture dans un véritable désert affectif. Et généralement, comme chez les staliniens, les décisions d'exclusion impliquaient un processus en chaîne qui allait bien au delà du groupe qui l'avait prononcé, puis que c'étaient tous les individus qui se reconnaissaient dans las idées et dans la mouvance situationnistes qui se devaient de cesser toute fréquentation avec l'exclu du jour. Et nous savons tous qu'à l'époque du stalinisme, les partis prétendument communistes ne négligeaient aucun de leurs efforts, après une exclusion, pour déconsidérer ou même déshonorer les exclus, de façon à les anéantir politiquement et définitivement, allant même jusqu'à la liquidation physique. Heureusement, tout cela appartient au passé.

(…)

En attendant, il me semble que ton idée d'une communauté où tout le monde doit avoir envie de communiquer avec tout le monde relève effectivement d'un « œcuménisme digne du christianisme primitif ». Mais il ne s'agit pas pour moi d'une référence péjorative ou infamante, et je te le dis avec une absence totale d'ironie. Je suis partisan de la création, à terme, d'un parti révolutionnaire, et je suis persuadé que celui-ci verra le jour, un jour, avec ou sans moi. Et je suis tout à fait persuadé que les membres de ce parti auront entre eux des relations de fraternité, de loyauté et de tendresse exemplaires, telles qu'ils présentent aux sympathisants, aux hésitants, aux neutres et même aux ennemis l'ébauche convaincante du style de relations qui devront régner dans une société libérée des chaînes du capital et du salariat. L'exemple des premiers chrétiens ne me semble aucunement déplacé, et l'ironie ou le sarcasme qu'il est convenu d'exprimer dans les milieux d'ultra-gauche dès qu'il est question de près ou de loin de religion est encore une de ces poses de révolté qui donnent l'air de la grande radicalité pour pas cher, tout en stérilisant le débat sur une question ardue et essentielle (la question de la religion). Car quel risque prend-t-on à se moquer des chrétiens aujourd'hui ? Aucun, bien au contraire, on est sûr, ce faisant, de trouver de la complicité facile, et chez n'importe qui. Au passage, remarque que ce ne sont pas les mouvements révolutionnaires qui ont réussi à en finir avec la religion dans les pays développés, c'est l'hédonisme de la consommation, c'est donc la nouvelle bourgeoisie.

Ceci dit, je n'espère pas rencontrer ces conditions fraternelles réunies d'emblée, sans combats, sans controverses, et même sans âpres controverses. Et je ne pense pas que le corpus doctrinal de l'ultra-gauche soit la base suffisante autour de laquelle il soit possible de constituer aujourd'hui un parti révolutionnaire. (…) …pour ma part, je peux tout à fait discuter et polémiquer, mais je n'envisage absolument pas d'action ou d'intervention commune, avec qui soutient l'inexistence de la classe ouvrière, la tolérance du voile dans les établissements scolaires, ni avec qui voient des aspects positifs dans les révolutions islamiques, comme je l'ai déjà dit, ni, non plus, avec ceux pour qui "Pasolini n'est pas leur tasse de thé", avec ceux qui veulent créer des entreprises capitalistes gérées par des communiste, ou avec ceux qui refusent toute discussion théorique car ils l'estiment inutile. Sinon, pourquoi pas demain avec ceux pour qui "André Breton était un fasciste", ou pour qui l'excision, après tout, est une pratique culturelle que nous, occidentaux dominateurs et colonialistes, n'avons aucun droit d'interdire, et pour qui les sciences, l'éducation et les traditions culturelles qui en sont inséparables sont autant d'expressions des valeurs et de l'idéologie du "mâle blanc", par exemple (exemples que je choisis intentionnellement, car ces conceptions sont très présentes dans tous les milieux qui se veulent contestataires et jusqu'à gauche de l'extrême gauche).

J'ai déjà participé, et je participe encore, à divers groupes, et il m'est arrivé assez souvent d'avoir des désaccords très sérieux avec certains participants, et tous ne m'étaient pas, ne me sont pas forcément sympathiques. Certains ne m'inspiraient aucun désir d'échanger avec eux ; il arrive que j'ai révisé par la suite mon opinion à leur sujet, et parfois non. Je n'ai pourtant jamais réclamé leur exclusion (…) même si je me réclamais d'une tendance qui, justement, pratiquait volontiers l'exclusion. Je persiste à trouver cette attitude (la demande d'exclusion) inepte, s'agissant du contexte, c'est-à-dire d'un groupe qui se définit très clairement comme un groupe de discussion, et explicitement comme n'étant pas un parti ou un groupe politique en construction, et qui tolère déjà tant de divergences en son sein. Ce genre d'épisode est révélateur d'un ensemble de travers, d'une attitude caractéristique, d'un tropisme auto-destructeur dans nos milieux, dont l'ancienneté et la persistance explique en partie pourquoi l'ultra-gauche (comme certains trotskystes) sont toujours restés minoritaires depuis la dernière guerre, jusqu'à se transformer en secte ou en cénacles totalement coupés du monde réel. Les pratiques d'anathème et d'exclusion, les scissions perpétuelles, la tonalité tour à tour extrêmement prétentieuse, méprisante, grandiloquente (et au pire, l'alignement sur le style implacable, la froideur et la violence des bolcheviks, ainsi chez les bordiguiste) étaient bien de nature à rebuter les sympathisant potentiels, alors même que sur le fond, leurs positions étaient évidemment beaucoup plus justes et plus honnêtes que celles de leurs adversaires et ennemis, sociodémocrates ou staliniens (1). (…) … la nature du lien qui réunit une communauté de révolutionnaires (qui se prétendent révolutionnaires) à un moment donné, ne serait-ce que pour discuter, est une question qui ne va pas de soit en dehors des sectes politiques, et qui ne se résout pas à celle, plus étroite des bases théoriques. L'histoire des multiples tentatives de regroupements de révolutionnaires à gauche de l'extrême gauche, des innombrables échecs tend à le démontrer. Je propose donc à ceux que cela intéresse de pousser plus avant cette discussion.

FL

(1) Évidemment, il n'y a pas que des questions de style qui expliquent l'échec de l'ultra-gauche, et je partage entièrement le jugement porté en 1979 dans les notes éditoriales du numéro 3 de la Guerre Sociale (une revue qui, malgré ses qualités, participait largement de cet esprit tranchant bolcheviks que je viens d'évoquer, et dont, faut-il le préciser, je condamne absolument la dérive négationniste) : "Le repli sur quelques points de valeur sûre accentue l'isolement de l'ultra-gauche et explique son manque quasi-total de capacités d'intervention. Le présent est utilisé à tout crin pour justifier des orthodoxies ou des mélanges d'orthodoxie qui sont l'expression de replis dus à la contre-révolution dominante, des fixations qui doivent être elles-mêmes considérées comme des produits historiques, même si elles prétendent échapper à l'histoire. Et sont d'abord des façons d'échapper à l'histoire qui portait la défaite de la révolution. Ce fut leur mérite, c'est leur défaut."