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François Lonchampt
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CORRESPONDANCES Correspondance avec Echanges François Lonchampt, 2002 Paris, le 5 octobre 2002 Aux rédacteurs de "Echanges" Chers camarades, Merci d'avoir signalé notre site dans le numéro d'été de votre bulletin. Cependant, l'adresse mentionnée est inexacte et ne permet pas d'y accéder. De plus, elle a changé entre temps. La nouvelle adresse est : http://ecritscorsaires.free.fr. C'est dans un courrier de l'année dernière que j'avais évoqué le caractère "peu attrayant" de votre revue. Mais je pense vous avoir précisé que ce jugement était celui que je portais… il y a un quart de siècle ! Je recherchai à l'époque des armes pour résister au reflux, une grille de lecture qui rende compte du monde moderne changeant sous mes yeux, et qui était en train de laminer nos espoirs issus de Mai ; et je n'y trouvais pas mon compte. J'ai sans doute aussi simplement été rebuté par l'austérité de la revue, tant du point de vue de la présentation que du point de vue des idées et des thèmes abordés. Elle n'a pas beaucoup changé depuis lors, et je vous laisse apprécier s'il s'agit là d'un compliment. Avec mon ami Tizon, j'ai depuis procédé à une critique assez sévère de nos anciens maîtres à penser situationnistes, dont l'entreprise, par bien des égards, s'apparente à un bluff éhonté (on peut se reporter utilement, sur ce thème, à un chapitre de notre livre, "Votre révolution n'est pas la mienne", qui se trouve intégralement publiée sur le site). Mais au moins les situationnistes s'étaient-ils proposés de relever des défis qui était à la hauteur des enjeux de leur temps. Notre époque n'exige-t-elle pas qu'on en fasse autant ? Dans un courrier adressé au "réseau de discussion", j'ai écrit récemment : "Je suis abonné à "Échanges" que je lis attentivement pour la chronique des luttes. J'admire la constance, l'acharnement et la capacité de travail de ses rédacteurs. Mais à part l'information, "Échanges" n'apporte pas grand chose, se bornant à répéter sempiternellement les mêmes dogmes usés, que l'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-même - belle et juste formule, mais à laquelle on ne sait plus donner aucun contenu -, que le parti ce n'est pas bien, que la forme définitive de l'émancipation ouvrière a été découverte en 1920 et qu'on ne saurait rien inventer de mieux désormais, que le triomphe de la bourgeoisie prouve la vigueur extraordinaire de la lutte de classe, et que les échecs qui s'accumulent depuis 30 ans annoncent les victoires de demain. Mais tout cela n'est pas à la hauteur des défis que les transformations du capitalisme et la narcose de la classe ouvrière posent aux révolutionnaires aujourd'hui". Quant à polémiquer, autant partir de là. Enfin, la réelle séduction qui se dégageait de l'aventure et du style flamboyant des situationnistes ne sont pas, à mon avis, à porter à leur passif. Au contraire. Car je ne crois pas que les débats sur le capital variable ou sur le caractère productif du secteur tertiaire soient de nature à attirer la jeunesse dans nos rangs. Mais peut-être pensez-vous que nous n'avons pas à séduire, que l'absence de désir de plaire est une garantie du sérieux de l'entreprise, et qu'il y a de la vertu dans l'ennui qu'on éprouve encore assez généralement quand on se penche sur la littérature d'Ultra-gauche ? C'est conforme à une certaine tradition révolutionnaire ascétique, mais ce n'est pas mon point de vue. Les hommes et les femmes de notre temps sont préoccupés du chômage, des bas salaires et des conditions de travail, mais ils sont aussi soucieux de leurs amours, de leurs vies décevantes, du non-sens de l'existence, de l'incommunicabilité, de la frustration qu'ils éprouvent à toute occasion, du temps qui passe, de la dégradation des rapports humains, de la beauté qui s'efface, de tout ce qui se perd et de tout ce qui ne sera jamais vécu. Et le capitalisme semble aujourd'hui offrir plus d'aventure, plus de jeu, plus de sensations fortes que le parti révolutionnaire. C'est une caractéristique de notre époque, et c'est une des raisons de notre faiblesse extrême, alors même que les conditions "objectives" devraient nous apporter des milliers de partisans. Je reste à votre disposition pour prolonger cette controverse, si vous y trouvez quelque intérêt, ou pour en engager une autre, étant tout à fait persuadé que tout est à débattre dans la tradition héritée du vieux mouvement ouvrier et des autres mouvements contestataires, et que le monde qui s'est beaucoup transformé pour absorber l'impact de cette remise en cause radicale ne saurait être efficacement contesté par les moyens qui ont définitivement échoués avant même que je découvre la revue "Echanges". Cordialement, François Lonchampt PS : Site argentin très intéressant, avec de nombreux liens : http://www.cordobanexo.com.ar |