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Alain Tizon
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Conte pour les enfants moqueurs ( Alain Tizon )


POÈMES

Conte pour les enfants moqueurs
Alain Tizon,


Madame Ratisboisafaran attend que les quais viennent s'ajuster près du bar maintenant qu'elle ne peut plus se déplacer et que la mer s'entête dans l'immobilité. Elle a toujours des oiseaux accrochés à ses lèvres, des petits oiseaux moqueurs à la langue bien pendue, et elle déteste les souvenirs car ils encombrent le présent.

Madame Ratisboisafaran n'a jamais rencontré l'ennui.

C'est ainsi qu'elle vit au café des routes près des revolvers à sureau et des plantes grimpantes dans l'attente d'une explosion de fleurs tropicales que viendra lui annoncer son colibri préféré.

Il y a de tout dans ce café où les rues passent…

Des hommes pomme d'arrosoir qui parlent du temps, de la jeunesse, et de comme c'était propre quand ils étaient conscrits. Des femmes osiers à l'ossature délicate dont les prunelles attendent l'aube comme une provocation différée, et qui s'étalent, langoureuses, languissantes, quand se prolongent les rêves. De ces femmes qui rendent les hommes fous d'amour avec leurs longs cils de ciel, leurs gestes délicats et purs comme l'attente de la neige dans les forêts délaissées. Avec leurs foulards étoilés, cette démarche fascinante.

A côté d'elles s'agitent de petits hommes à la moustache maladroite, la voix cassée, pleine de brume et de miel, qui parlent de la Terre de Feu et du chapeau d'Al Capone, de serments jamais échangés, du goût qu'ont ces fruits amers qui traînent sur les quais du port inachevé, des îles lointaines dans la torpeur de l'été.

Tous les jours des voyageurs gigantesques cessent leur marche et laissent les clefs sur le comptoir. Ils arrivent de Chine, des Amériques et du Tibet là où poussent les grands chameaux délicieux accompagnés des lamas au teint clair. Ils abandonnent ainsi leurs clefs de Jade ciselées serties de diamants. Des clefs très lourdes travaillées comme un luxe sans fin ! D'autres ont connu les grands fleuves d'Afrique, les villes araignées d'Europe. Ils ramènent du papier et des boîtes en carton qu'ils offrent aux plus silencieux, aux plus innocents. Certains arrivent d'on ne sait où et préfèrent délaisser leurs sacs multicolores remplis de bavardages et des mots chuchotés par les nuits solitaires.

Il y avait toujours du sourire et des rires, et le mot amour est si présent qu'on ne le nommait jamais.

Cependant, un sentiment de gravité parcourt quelquefois les visages quand vient l'heure de chercher une réponse aux questions des enfants. C'est le seul endroit de la ville où ils viennent sans pleurer.

La distribution des morceaux de soleil est fastueuse, un rhinocéros compte les points, son museau fouineur lutine dans les banderoles multicolores aux couleurs de safran et de ciel.

Même le serrurier arrête le combat inégal.

Ainsi la vie battait sa coulpe et les fonctions étaient oubliées dès l'entrée. Il ne fallait pas poser de questions, seuls les enfants avaient ce droit, et on ne vous permettait qu'une seule réponse.

Quelques aventuriers avaient osé, tentés par l'aventure du grand large. Ils revenaient parfois, tambourinaient contre les vitres mais n'osaient plus entrer. Alors madame Ratisboisafaran levait sa ma gantée de perles endormies et reprenait ses dés avec un sourire très doux. Elle jouait de longues heures avec le serrurier qui en oubliait de raboter les portes transparentes et qui ne voulait plus partir, installé sur les toits parmi les dominos dans le ciel écarlate, fasciné par la discussion entre la nuit et le jour, essayant de comprendre.

C'était une époque maudite où les villes maltraitaient les enfants. Des machines occupaient les espaces et gênaient la vie. On ne pouvait leur parler ni mordre. Il fallait bien se replier parmi les fuites, l'abandon des climats, avec le sourire complice des anciens !

Alors le vent était plus frais le soir, quand la patronne ouvrait son éventail. Les palmiers agitaient leurs palmes de nacre, et Mélodie annonçait l'ouverture en traversant la place dans ses foulards de soie.

C'était le bonheur puisque les objets ne dirigeaient plus les mots.

C'était le bonheur puisque l'éternité s'était arrêtée. Mais non sans difficultés, après bien des affres, des vicissitudes, et dans le souci des dérapages quand elle avait perdu sa route aux carrefours des étoiles.

Alain Tizon